SAINT-CHÉRON – MIRGAUDON où la vie à la campagne
Mirgaudon, 1954 l’année où mes parents achètent une maison de campagne et une voiture 203 Peugeot.
Mirgaudon, hameau situé à 2 kms de Saint-Chéron, sans transport, sans bruit, sans circulation, sans jukebox, sans cinémas, sans commerces à proximité, fut le village de mon insouciance et de ma liberté!
Mirgaudon me fit découvrir une autre vie, je dirais presque un autre univers, celui de la nature et de la convivialité.
C’est à Mirgaudon que j’ai appris à faire du vélo, du solex, puis de la mobylette.
C’est à Mirgaudon que j’ai appris à monter aux arbres pour jouer aux cowboys et aux indiens. Puis un peu plus tard, à profiter de mes premiers bains de soleil.
C’est à Mirgaudon que, petite parisienne insouciante, j’ai appris à connaître tout ce que nous offrait la nature par : les fermes, les cultures de fruits et légumes, les compotes, les confitures, les parfums de la nature, au dehors, etc.
C’est de Mirgaudon que je garde l’image de Maman, moins stressée, nous jouant des airs sur son violon de jeunesse, et s’adonnant à sa passion le chant d’Opéra.
La ferme de Mirgaudon
Sur la place de Mirgaudon, il y avait la ferme Blouin. Avec les ami(e)s, en fin d’après-midi, je pouvais aller chercher les vaches aux prés, assister à la traite, boire du bon lait frais et chaud à peine sorti du pis.
Chaque soir j’allais aussi, avec la laitière métallique, acheter le lait, pour le petit déjeuner du matin, que maman faisait immédiatement bouillir, pour éviter qu’il tourne puisque nous n’avions pas de réfrigérateur, sans oublier le fromage blanc fait maison, dont le goût, irremplaçable me fait encore saliver. Dans la ferme il y avait aussi un immense poulailler, où les poules qui vivaient en liberté et que nous retrouvions parfois hors de la ferme pondaient des œufs que nous prenions plaisir à ramasser et à mettre délicatement dans un panier pour rapporter au fermier.
L’Épicerie, pour les personnes non véhiculées, se faisaient grâce aux commerçants ambulants.
Comme Mirgaudon était à environ 2 kms de Saint-Chéron, et qu’il n’y avait aucun transport en commun pour circuler, les commerçants passaient chacun leur tout pour permettre aux familles, non véhiculées, de s’approvisionner en nourriture.
Pour la conservation des aliments frais, alors que les réfrigérateurs n’étaient pas encore d’actualité, chaque maison avait son garde-manger, c’est-à-dire un placard en bois, dont les parois étaient en très fin grillage pour permettre à l’air de passer mais pas aux insectes, installé dans une pièce sombre et fraîche de la maison ou d’une dépendance.
Chaque commerçant s’annonçait avec une manière de klaxonner différente.
D’abord le boulanger qui passait chaque jour en matinée pour livrer du pain frais, des viennoiseries et des pâtisseries pour le Dimanche.
Puis les autres commerçants se partageaient la semaine : le boucher, le charcutier, les deux épiciers du bourg et enfin le vendredi le poissonnier.
« Oyez, oyez » une phrase inoubliable
Quelle ne fut ma surprise lorsque j’entendis pour la première fois, au coin de la cour et de la place, les roulements de tambour du garde champêtre! Je n’avais jamais vu ni connu de Garde champêtre! Eh, donc chaque premier jour du mois, ou lors d’une activité exceptionnelle, circulait, en vélo puis en mobylette, de quartier en quartier, le garde champêtre avec costume foncé, casquette et tambour, pour nous annoncer les nouvelles en criant « Oyez, oyez, avis à la population ». Et là en quelques minutes les enfants, les adultes sortaient des maisons pour se rassembler autour de lui, ou certains ouvraient juste leur fenêtre, afin d’écouter les informations de la Mairie.
Les Forains et Romanichels
Chaque 14 juillet (Fête Nationale française) Saint-Chéron était en fête, avec sa fête foraine, son bal et son feu d’artifice. Et comme chaque 14 juillet, sur la place de la gare, et le long de l’avenue de la gare, se tenaient des stands, dont le stand de tir où je ne manquais pas une occasion pour m’adonner à ce plaisir et où, ma foi, je remportais assez régulièrement un trophée.
Un autre plaisir fut le bal de soirée auquel j’assistais, en compagnie de Maman une excellente danseuse, qui me transmit sa passion et son savoir pour la valse, le tango, le pasodoble, etc., ce dont je la remercie encore aujourd’hui.
Dans la même période passaient régulièrement ce que les villageois appelaient à l’époque les « Romanichels », soit des forains ambulants qui vendaient leurs services : vente de dentelles, de paniers en osier, d’objets en cuivre, etc.
Dans la même démarche passaient régulièrement les ramasseurs de peaux de lapin en criant « peau de lapin, peau de lapin » pour nous avertir, sans oublier, comme à Paris : les vitriers, ramoneurs, rémouleurs, etc.
Isidore dont j’eus peur à nos premières rencontres
Personnage unique à Mirgaudon, je me dois de vous présenter Isidore.
Isidore était un homme des bois, un peu rustre avec parfois une odeur forte qui vivait, par choix selon la légende, dans une cabane à l’orée du bois, nourri par la générosité de la population de Mirgaudon.
Isidore était un homme sauvage mais dont les services étaient indispensables dans la commune.
En effet Isidore était ce que l’on appelait à l’époque un « rebouteux », dont la définition exacte est : rebouteux ou rebouteur, personnage bien connu dans les campagnes pour son habileté à remettre en place les nerfs « froissés » et les tendons « qui sautent », à dénouer les muscles, soigner les « foulures » et les articulations démises voire les fractures.
Isidore était donc l’ancêtre de ce que l’on nomme de nos jours, les études en moins, un chiropraticien ou ostéopathe. Il se déplaçait chez les gens pour manipuler leurs articulations défaillantes, et était payé par des dons de toutes sortes ce qui lui permit de subsister dans son choix de vie.
Hélas, un jour, j’appris qu’Isidore avait déménagé pour rejoindre le Royaume des Cieux.
Quand j’évoque Mirgaudon je ne peux éviter de parler de Maman mais également de Pépère et Mémère qui furent, non seulement mes seuls grands-parents, mais des personnages importants dans cette découverte campagnarde.
C’est à Mirgaudon que Maman pouvait stopper le rythme de vie infernale d’un commerçant et se donner du plaisir et du repos entre lecture, musique et surtout celui de pouvoir faire des compotes, des confitures avec certains fruits et légumes de notre verger : confitures de pêches, de poires, de pommes, de rhubarbe, de tomates vertes, gelées de groseilles, cerises griottes au kirch, etc.
Elle avait aussi une spécialité : les beignets aux pommes et à la fleur d’acacias.
Mémère, femme adorable d’une extrême douceur, dont la plus grande tristesse fut de ne pas avoir eu d’enfant, était donc une femme au foyer, un parfait cordon-bleu choyant son « homme » autant qu’elle le pouvait. Mémère élevait des poules, des lapins qu’elle tuait elle-même, puis les débarrassait de leur peau qu’elle faisait sécher sur la corde à linge, afin de pouvoir les vendre aux ramasseurs de peaux de lapin.
Pépère retraité par obligation, à cause d’une longue maladie appelée silicose, occupait ses journées au bricolage, mais surtout à diverses activités extérieures.
Tout d’abord maraîcher, sur un grand terrain dans le bas de Mirgaudon. Ces cultures variées permettaient à Pépère d’en vendre une grande partie, et à Mémère de faire ses conserves de produits frais avec l’autre partie.
Quand le temps des cueillettes de fruits arrivait, il devenait « bouilleur de cru » pour le hameau, puisqu’il était équipé d’un alambic et détenait les autorisations légales. Il se mettait donc à la disposition des voisins, selon leurs demandes, pour fabriquer du cidre, mais aussi des alcools de prunes, poires, etc. appelées « eau de vie » ou « goutte ».
La dernière occupation saisonnière de Pépère qui fut, je crois, une passion : La cueillette des champignons. Il les connaissait tous, et quand la saison était venue, il partait plusieurs fois dans la semaine aux aurores, enfilant ses grandes bottes de caoutchouc, pour faire des kilomètres de marche dans les bois, avec deux ou trois grands sacs de jute vides sous le bras.
Quand il revenait en fin de matinée, les sacs étaient pleins de champignons de toutes sortes : cèpes, giroles, trompettes de la mort, pieds de mouton, coulemelles, têtes de nègre, etc.
Mémère, avec ma modeste aide, nettoyait les champignons avant de les mettre en conserve.
Je dois avouer que Mémère m’a beaucoup appris dans ce que l’on appelle « la cuisine de grand-mère ».
À Mirgaudon pas de buanderie commerciale, mais un lavoir municipal
Le lavoir municipal de Mirgaudon se trouvait au bas de la route longeant notre verger.
Bien avant le temps des laveuses et sécheuses les femmes se déplaçaient au lavoir municipal, pour faire toutes les lessives à l’eau froide, parfois même glacée selon les saisons. Le bord du lavoir comportait en général une pierre inclinée derrière laquelle les femmes se mettaient à genoux dans une sorte de bac en bois appelé le « garde genoux ». Puis elles jetaient le linge dans l’eau, le déposait sur la pierre pour le savonner et le brosser, s’aidant d’un battoir fait en bois, pour le battre et l’essorer le plus possible. Cette opération pouvait être répétée plusieurs fois avant que le linge soit enfin rincé et tordu pour essorage final. Une fois les opérations de lessives terminées, le linge était remis dans des sceaux sur la brouette et rapporté à la maison pour le séchage intérieur ou extérieur.
Mais ce lavoir avait aussi une autre utilité. En effet à chaque vacances scolaires, par temps chaud l’Été, et bien que cela fut interdit, le lavoir nous servait souvent de piscine où tous les enfants avaient pied.
Dans une autre partie du bois, au-dessus de la maison, on pouvait suivre, chaque dimanche et les jours d’entraînement, l’activité qui m’a le plus passionnée dans cette période de l’enfance et de l’adolescence : la moto et le circuit de motocross.
Circuit, qui à cette époque était ouvert librement au public, où des jeunes motards pouvaient s’entraîner hors compétitions. Les jours de compétitions, qui étaient uniquement le Dimanche, nous pouvions nous glisser, assez inconsciemment, au travers des pistes pour suivre le plus près possible, les entraînements et les courses.
Nous voilà arrivés au terminus du train des souvenirs.
Avant de vous dire au revoir, je souhaiterais préciser que si ce récit contient un soupçon de nostalgie dû au temps qui passe, il n’est pas écrit dans un état d’esprit de dépit en pensant que tout était mieux avant.
Bien au contraire, j’apprécie tout autant les améliorations que les technologies nous apportent, tant pour nous adultes que pour nos enfants et petits enfants, bien que parfois mes méninges aient du mal à suivre le rythme de l’évolution.
Il y a cependant une évolution que je n’apprécie guère, et qui semble se multiplier hélas! Celle de devoir parler au téléphone, à des robots plutôt qu’à des humains. Conversations qui nous permettaient soit de plaisanter, soit de nous chicaner selon les sujets, mais qui avaient l’avantage de nous donner une occasion de communiquer.
Si ce voyage dans le temps vous a plu je vous invite à vous remémorer vos meilleurs souvenirs d’enfance, et si vous le souhaitez à me les faire parvenir pour que soient lus les témoignages de vos pays d’origines.
Je terminerai ce récit en empruntant la phrase d’Antoine de Saint-Exupéry qui complète mon statut d’immigrante :
« Je suis de mon enfance comme d’un pays ».