Un billet de Jean-Guy Marceau
Jamais un printemps n’aura été si souhaité, si désiré. Un avril aux allures de juin flirte avec une température improbable. Un air d’été.
Katia est dans son grand ménage, ses deux cordes à linge sont remplies de draps d’hiver, de chandails de laine, de « combines » de
son mari, de mitaines et de salopettes d’hiver. Le vent s’en mêle et fait danser les vêtements épinglés comme des ombres géantes,
des fantômes qui sont projetés dans la ruelle de la quatrième avenue.
Presque plus de traces de l’hiver, sauf un vieux sapin de Noël rouillé qui pleure au coin du garage de M. Beaulieu, une pelle jaune défraichie
qui trône sur le balcon du voisin et le tapis douteux en jute qui tartine les marches de son escalier.
Katia est heureuse. Elle sort et respire l’odeur de la terre qui dégèle. Debout sur son balcon, le nez dans ses draps contours, elle remplit
son panier bleu pâle de linge qui sent le propre, qui sent la vie. Depuis lundi, avec son chum, ils ont entrepris le grand ménage du printemps : armoires, murs, planchers, vitres (les maudites vitres !)… tout brille comme les dents de Joël Legendre
Tantôt. ils iront chercher les enfants à l’école et en profiteront pour magasiner un peu sur la Well. Le beau temps ça donne le goût d’acheter, de se faire plaisir. Le travail à distance, le télétravail a de bons côtés. Ça permet une liberté, du temps qu’on peut rattraper.
Après le souper, un tour en vélo en famille. La lumière du jour qui tombe sur Verdun, la lumière singulière d’avril, c’est fascinant. Le bord de l’eau apaise, réconforte. On arrête à la maison Nivard-De-Saint-Dizier, papa raconte une histoire de fantôme, rien pour rassurer fiston et sa petite fille aux bouclettes de charbon, on revient vers la 4ème en passant par la rue Beatty, la rue favorite de Katia. Une journée ordinaire dans une ville plutôt extraordinaire se dit-elle.
Joli printemps qui nous fait oublier la grisaille de nos âmes en peine. On a tout dit de cette situation anormale, de cette vie nouvelle et inquiétante. Il faut vivre le moment présent, apprécier un rayon de soleil, une ballade en vélo, une maison propre et une famille bien vivante. Il reste l’amour et l’espoir… et aussi les si beaux crocus mauves et jaunes qui saluent ce magnifique printemps.