Un billet de Jean-Guy Marceau
Explore Verdun-IDS est heureux d’accueillir l’une des plus belles plumes de l’arrondissement, le Verdunois Jean-Guy Marceau, qui signe à compter d’aujourd’hui un billet hebdomadaire.
Aujourd’hui, il fait froid. Comme plusieurs, Michel travaille de la maison depuis quelques mois. Il habite seul, sur une avenue, ici, à Verdun. Il arrive de la pharmacie, encore ébranlé de sa rencontre avec une cliente. Célibataire endurci, il est le premier surpris ; un coup de foudre à 57 ans. Il n’y croyait plus, il ne voulait plus… Un ange qui passe. Il sait qu’elle habite à l’Île-des-Sœurs, qu’elle aime la Caramilk, les chats et qu’elle prend souvent les transports en commun, infos qu’il a recueillies discrètement, à deux mètres à la caisse… la jeune caissière était curieuse et la cliente révélatrice.
Leurs regards se sont croisés entre le papier hygiénique et le Tide Oxi Advanced Power, comme au cinéma, un film de Lelouch. Le présent au ralenti. Il lui semble entendre encore une musique à son oreille. Ou peut-être est-ce les battements irréguliers et affolés de son cœur. Tous les deux masqués, la force du regard domine. Celui de la cliente, bleu comme la mer, et le sien, couleur désir, assurément.
Elle se rend compte de sa présence, comment pourrait-il en être autrement ? Il la scrute du regard à bonne distanciation sociale. Elle semble amusée et de concert, ils jouent un peu le jeu du chat et de la souris entre les allées étroites et colorées. Les deux espiègles ont le même sourire sous leurs masques impersonnels, personne ne le remarque évidemment, la pandémie cache tant de choses. Une pharmacie en mode speed-dating. C’est excitant, non ? Michel est convaincu qu’il vit les quinze plus belles minutes de sa vie. Il a un peu l’air ridicule avec sa tuque du Canadien, sa vieille parka ouverte et son Pepsi diète à la main. Après un trop court moment, l’intrigante disparaît à l’extérieur.
Michel sort du Pharmaprix rapidement pour connaître la destination de son coup de cœur, se démasque au moment même où elle se retourne, encore plus jolie qu’il l’avait imaginée, son sourire est envoûtant. Au même instant, l’autobus arrive et coupe brusquement le rêve. Elle y pénètre avec hésitation, en laissant échapper accidentellement un gant. Il court sans succès vers la 107 qui, comme un vieux matou, ronronne à tue-tête. Il se penche et prend le gant, le porte à son nez, il sent la Caramilk.
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