Marek Zielinski
Comprimer presque deux ans d’activités en deux pages n’est pas facile : je vous préviens donc qu’il y aura du name-dropping (en bon français) à profusion dans le texte qui suit.
Après le lancement de L’Oreille de van Gogh, les activités diverses se sont enchainées. Et quand je dis diverses, je le pense vraiment. Jugez par vous-mêmes : soirées de poésie, défilés de mode, projections de vidéos, concerts et performances, expositions, réunions de partis politiques, danse, ateliers de création, dégustations, body painting – il ne manque rien à notre actif, sauf un concours de beauté peut-être !
Notre café-galerie a été un incessant défilé de gens venus de tous horizons, et je vous présenter quelques-uns, au gré de ma mémoire.
Pier Hébert – alias 22, nom d’artiste. La créativité lui collait à la peau. D’un charme dévastateur et d’une stature vertigineuse, il nous obligeait de lever les yeux, par-dessus l’horizon, pour regarder vers le haut, là où planait son art unique, original, universel et si personnel à la fois. Où que tu sois, frère, sache que l’aventure n’est pas finie !
Feu Gerald Audet – le titre du Maître a dû être inventé pour lui. Il a été le premier à exposer à l’Oreille, mettant la barre haute pour les artistes suivants. Accompagné par sa femme Jeanine, une photographe de talent, il est devenu un ami, notre mentor et une présence douce et rassurante. Il mérite un musée à lui-seul.
Bedros – un prince exotique, un artiste venu de loin et qui défiait notre manière de voir avec ses œuvres abstraites.
Pierre Frigault – il est passé nous voir un jour, en bon voisin. Timide, ne sachant pas trop à quoi s’attendre dans notre galerie-café, il nous a dit qu’il grattait un peu la guitare et qu’il aimerait un soir, selon notre convenance, venir la gratter chez nous. Et un soir, une vieille Gibson vintage en main, il a pris le tabouret, et nous a montré de quel « grattage » il s’agissait ! Tout de suite affublé du sobriquet de Clapton de Verdun, il a fait hurler, chanter, pleurer et enrager sa gratte pendant toute la soirée. Pas une chanson des années ‘60 et ‘70 n’était hors de sa portée. Lui qui ne jouait plus que chez lui, dans son salon, rayonnait de bonheur à chaque fois qu’il se produisait sur notre petite scène. Ce sourire, cette joie, nous ne l’oublierons jamais.
Deux ou trois fois par semaine, à toute heure du jour ou de la soirée, un inconnu entrait à la galerie-café, s’asseyait au vieux piano droit et pendant une bonne heure enchainait les morceaux classiques et standards de jazz. Nous n’avons jamais osé lui demander son nom, de peur qu’il ne retourne plus, vu sa timidité. Il ne touchait même pas le café que nous posions pour lui sur le piano. Il entrait, il jouait divinement, et il repartait. Merci, virtuose anonyme, pour ces moments de magie !
Armand Vaillancourt – il était avec nous dès le début. Il nous a honorés d’une exposition unique, organisée avec ses élèves. Son énergie était inépuisable, son enthousiasme à toute épreuve, sa jeunesse éternelle. Avec chacune de ses œuvres, il changeait le monde (n’est-ce pas l’unique manière de faire de l’art ?).
Francine Bertrand – ses tableaux réalistes lui ont valu une célébrité bien méritée, récompensée par le prix Coup de chapeau de la ville; Suzanne Moussette – chanteuse à la recherche de la vibration divine, elle parcourt encore le monde, portée par sa voix; Paul Cormier – un vrai homme de renaissance, égaré à notre époque; Juan Manuel Vasquez – le peintre de l’enfance douloureuse; Steve Viès – le rythme incarné, un chamane et « vieux » sage de notre âge qui, j’en suis sûr, abritait en lui de secrets immémoriaux ; Jean Pronovost – une star et le plus libre des créateurs; Marc-Aurèle Marsan – le photographe que vous connaissez déjà, dont les photos sont comme de fenêtres vers d’autres mondes.
L’aventure de l’Oreille n’aurait pas pu se produire ailleurs qu’à Verdun. Elle demandait une synergie particulière, doublée d’un désir de redéfinir notre ville. C’est là qu’un personnage extraordinaire entre en scène. Nous le connaissons tous, il œuvre pour notre ville depuis des années, il est de tous les projets et aventures. Si son engagement public est connu et apprécié, il faut parler de la manière dont il soutient ceux qui se lancent dans des projets aussi fous que l’Oreille. Il est là, il écoute, il encourage, il facilite les choses, il aplanit les obstacles et, surtout, il croit. Je parle, bien évidemment, d’Alain Laroche. Merci, Alain, pour le soutien, et ce n’est pas fini, on ira te solliciter pour d’autres projets, tu es prévenu !
Presqu’au même temps que l’Oreille, un autre endroit voyait le jour à Verdun, sur la rue Bannantyne. On peut parler de lui au présent, car il existe encore. Situé en dehors de zones du trafic piétonnier, son projet était encore plus risqué. Je parle du café Fréjus. Son histoire mérite d’être contée au même titre que la nôtre, mais j’en laisse soin à mon collègue de plume et son créateur, Yves d’Avignon.
Fidèles à leur tempérament du Sud, les deux fondateurs ont laissé une large place à la famille. En plus de prêter main forte quand le besoin se ressentait, presque quotidiennement à vrai dire, chaque membre de la famille a su apporter une touche personnelle :
– Maman Raquel, qui a rehaussé nos plats par une touche de saveur mexicaine ;
– Papa Trini, qui a fixé, réparé, perfectionné tout ce qui pouvait l’être, en plus d’apporter sa dose d’espièglerie et de bonne humeur ;
– Sœur Alejandra, qui n’a pas raté une seule journée derrière, devant et tout autour du comptoir, veillant à la bonne présentation de nos délices et offrant le beau sourire de bienvenue aux arrivants ;
– Petite Brenda, notre nièce, haute comme trois pommes, la mascotte, dotée de tous les talents, qui pouvait chanter une chanson, faire un pas de danse, manier comme personne l’ancienne caisse-enregistreuse ou tout simplement remplir de lumière même la plus sombre de journées.
Les deux complices principaux, Luz et Gabriel,

ont porté sur leurs épaules ce projet grâce à la passion commune pour les arts, la culture, l’échange et les rencontres. Ils ont démontré une créativité sans limites face aux mille petits et grands problèmes qu’une telle entreprise puisse mettre sur leur route. Et soyez sûrs, ils n’ont pas dit leur dernier mot, loin de là.
Et que dire de votre humble serviteur ? Vous m’avez vu de dos le plus souvent, face à l’évier, éponge à la main, à faire de la plonge. J’ai également développé une relation particulière avec la machine espresso, une merveille de technologie, robuste et capricieuse à la fois. J’ai appris à écouter ses soupirs de vapeur et les clapotis de son jet d’eau chaude pour anticiper les sauts d’humeur de la vieille dame et la rassurer d’une caresse d’un chiffon doux, pour lui redonner son éclat, ou d’un nettoyage en profondeur de sa tuyauterie (en tout bien tout honneur, notre relation fut platonique).
Ravivé par ces souvenirs, le désir de recréer la magie d’un endroit comme l’Oreille pourrait un jour aboutir à… une autre Oreille de van Gogh, celle qui est restée collée au crâne du peintre, qui est donc appelée à durer – voilà une idée qui fait son chemin, tranquillement, un pas à la fois.
Pourquoi a-t-on besoin d’un endroit comme l’Oreille, quand nous avons un magnifique Centre culturel ?
Deux raisons, étroitement liées, me viennent à l’esprit :
– Il s’agit d’une initiative citoyenne, qui ne fait pas partie d’une politique culturelle quelconque et qui fonctionne principalement par des coups de cœur et permet aux artistes de classe mondiale à côtoyer les proverbiaux peintres de dimanche, pour le plus grand bénéfice de deux ;
– Il existe une communauté presqu’invisible à Verdun, comme partout ailleurs, et qui ne demande qu’à exister au grand jour : les artistes. Ils se sont manifestés un par un, timidement, avec l’étonnement de se voir si nombreux.
J’appelle à votre clémence pour ce texte fourre-tout, un peu brouillon mais sincère. Les souvenirs ont débordé de mon cœur, et j’ai pu à peine les organiser en quelque chose d’ordonné. Merci et à la prochaine.
- Article écrit par Marek Zielinski … et savamment chéri par la seule et unique Luz Garcia. Pour la rubrique : Chapeau aux gens et aux lieux de ma communauté