Texte Marek Zielinski
Recherche Luz Garcia de Zielinski
Photos de Jack Northon
Il y a des rencontres qui marquent plus que les autres. Après avoir écrit près de 350 textes, majoritairement des portraits des gens de Verdun, nous avons eu la chance et le privilège d’interviewer quelqu’un de vraiment exceptionnel, dont le parcours de vie nous a inspiré et nous a dévoilé la force insoupçonnée de l’âme humaine.
Un informaticien sans ordinateur
La vie de Saïd Radhouani commence, selon ses propres mots, au milieu de nulle part, dans un petit village de sa Tunisie natale. Tout comme ses camarades d’école, Saïd se voit destiné à une vie rude de travail. Malgré l’immensité de la mer toute proche, l’horizon est bas et les perspectives assez limitées. Contrairement à ses amis pourtant, Saïd rêve, Saïd refuse de se laisser confiner dans l’étroitesse de son lieu de naissance. Il comprend très vite qu’il n’y a pas 36 manières d’échapper à sa destinée — il faut viser l’excellence dans tout ce qu’on entreprend. Ses bons résultats scolaires lui ouvrent plusieurs opportunités, qu’il saura explorer pleinement. Il fut admis dans l’une des meilleures universités en Tunisie pour étudier l’informatique. Il y a obtenu son diplôme avec mention malgré le fait qu’il ne possédait pas un ordinateur — c’est comme devenir Lionel Messi sans ballon de soccer ! La mer qui séparait s’ouvre soudainement devant lui : il part pour la France pour y faire ses études en doctorat, qu’il complète ensuite conjointement en Suisse. À l’âge de 23 ans, il enseigne l’informatique à l’Université de Genève et mène ses travaux de recherche. Une bourse d’excellence (encore) lui permet d’étudier n’importe où sur la planète. Il choisit les États-Unis pour ses études post-doctorales, puis retourne au pays et se lance en affaires. L’ambiance d’avant le printemps arabe y est assez tendue, Saïd refait donc le grand saut et se retrouve à Montréal, il y a déjà 14 ans.

Malgré les mises en garde de toutes ses connaissances, il décide de faire un tour à Verdun et en tombe amoureux. Le temps des motards et de la violence n’étant que de l’histoire ancienne, seule la mauvaise réputation sans fondement de notre arrondissement a continué à décourager les gens comme Saïd de s’établir chez nous. Il a suffi d’une visite pour qu’il y plante ses racines depuis 12 ans déjà. Une preuve de plus que personne ne peut résister au charme de Verdun !
Tu seras père !
Professionnellement, c’est la consécration : Saïd devient le directeur général à 30 ans dans une grande compagnie. Il pratique du sport, mais une blessure l’oblige à tout arrêter. Il y retournera 12 ans plus tard. Et puis, c’est la cata ! Trop pudique et modeste pour en parler en détail, Saïd doit faire face à une crise majeure dans sa vie personnelle, qui implique désormais une famille avec des enfants. La pandémie le voit plonger dans une profonde dépression dont il émerge grâce à ses enfants. Le sport, de nouveau présent dans sa vie, et son travail lui donnent des bases solides, mais ce sont ses enfants qui le portent en avant, jour après jour. Il suffit de l’entendre parler de la dimension spirituelle d’être un père, du devoir de transmission des valeurs. Ses journées commencent à 5 h du matin, car il s’entraîne 13 fois par semaine dans une discipline parmi les plus exigeantes
: le triathlon. En aucun cas, cette passion ne doit interférer avec ses obligations parentales — elle doit au contraire lui fournir et l’énergie et la discipline pour être ce qu’il suggère le plus d’être : un bon papa, attentif, inspirant, un véritable rock pour ses trois enfants. Dans un contexte qui n’est pas très favorable aux hommes, Saïd conjugue sa vie professionnelle, sa passion du sport et son dévouement sans limites à la famille.

À la famille
Une vie sans objectifs n’est selon lui qu’un enchaînement mécanique des jours et des nuits. La prise en main de sa destinée commence par la santé, autant physique que mentale. Chaque jour, Saïd défriche le chemin pour ses enfants et pour les autres. Il crée des sentiers en s’arrêtant parfois dans sa route, pour rattraper son souffle — nous l’avons croisé dans ce moment de calme et de réflexion. Merci, marcheur infatigable, de tracer de nouveaux chemins pour nous tous !