Billet de Jean-Guy Marceau
Dans la vie, il y a deux types, deux styles de personnes : celles qui organisent un souper, servant des plats dignes d’un chef étoilé sans transpirer une goutte, et celles qui, comme Jérôme, étudiant de 18 ans, transpirent rien qu’à l’idée de mettre la table. Ce vendredi soir, sur la cinquième avenue, au troisième étage à Verdun, six de ses amis viennent pendre la crémaillère. SIX, il aurait dû annuler, dire non. Il aurait dû faire semblant d’avoir une invasion de termites ou une mégafuite d’eau dans la cuisine. Mais non, il a dit oui. Et maintenant, il est condamné à cuisiner. Ça fait un mois qu’il est en appartement et son coloc Simon est parti à Drummond chez ses parents pour le week-end.
16 h 30. Son petit frigo déborde de victuailles achetées dans une frénésie d’angoisse, chez Métro rue de L’Église. Un gros poulet qui ressemble à une dinde, des légumes, des épices dont il ne connait pas l’utilité. il a tout pris. Sa carte de crédit d’étudiant cassé frôle la limite. Il a même acheté un pot de sauce aux truffes parce que ça faisait « chic « Il n’a aucune idée de comment l’utiliser.
17 h. Tentative de découpage de l’oignon. Deux larmes coulent : une à cause de l’oignon, l’autre à cause de son incompétence évidente. YouTube est son seul espoir. « Comment cuisiner un poulet qui a l’air d’une dinde, sans provoquer un incendie ? » Résultat : des trucs trop compliqués, mariné pas mariné, Bar-B-Q, au citron, etc., il est déjà en retard.
18 h. Jérôme a une crise existentielle face au four. Trop chaud ? Pas assez ? Pourquoi est-ce que la cuisson d’un poulet semble soudain relever de la physique quantique ? Il appelle Adèle , sa mère (il avait promis de ne pas le faire en quittant le nid, mais… force oblige). Elle rit. Ce n’est pas le soutien qu’il espérait.
19 h. Les chums arrivent (déjà). Sourires, accolades, grosses bières. On parle de tout et de rien. Jérôme est en sueur, le tablier de Centraide de travers et un peu de farine sur la joue. L’entrée ? Du pain et du fromage achetés chez Copette. On ne peut pas se tromper avec du pain frais et du fromage qui pue, songe-t-il.
19 h 30. Le poulet sort du four. Il est…eh bien, il est là, noir par endroit et doré par d’autres, les légumes sont trop cuits et la sauce a collé. Antoine (dit le bolé) , son ami qui fait Master Chef le regarde avec pitié. Ils découpent la bête fumante. Ce n’est pas si pire ! Personne n’est encore mort.
21 h. Le dessert ? Il a oublié le dessert. (Ah la jeunesse) On improvise avec du chocolat et des biscuits Oreo. Personne ne semble déçu. Peut-être qu’ils sont juste polis.
23 h. La soirée est terminée. Aucun de ses invités n’a été hospitalisé, tout le monde a bien ri et il reste miraculeusement du vin. Les amis partent heureux et enthousiastes. Jérôme ramasse avec Valérie B. qui est restée pour lui donner un coup de main. L’histoire ne révèle aucun autre détail.
