Par Marek Zielinski
Recherche de Luz Garcia de Zielinski
Les insulaires sont les gens à part, pour plusieurs raisons. Il y a, tout d’abord, ce sentiment d’isolement, de découpage du reste du monde, mais aussi un désir de bâtir des ponts, de créer les liens avec ce monde qui n’est qu’une mince ligne foncée sur l’horizon. Les souvenirs de Marie-Laure Chevrier sont marqués par ce sentiment d’isolement : les Îles de la Madeleine étaient au temps de son enfance presque un désert culturel, où la vie s’écoulait à son propre rythme. Un livre fut rare, alors ceux qui y aboutissaient prenaient une importance capitale. C’est ainsi que Gabrielle Roy est entrée dans la vie de Marie-Laure, pour ne plus lui lâcher la main. Une femme qui a osé écrire, en faire son métier, voyager et s’affirmer – voilà de quoi enflammer l’imaginaire déjà vif de la jeune fille.
Marie-Laure fait son entrée dans la littérature de la manière la plus naturelle : par les lettres qu’elle échange avec sa sœur, partie faire des études sur la terre ferme. La seule exigence qu’elle s’impose, et qui lui permettra de peaufiner son style, est de ne pas ennuyer sa sœur. Depuis, comme son modèle, elle a osé écrire, voyager et à inspirer les autres, insulaires comme elle ou pas. Après des études aux États-Unis et une carrière de 23 ans en enseignement à Vancouver, Marie-Laure jette son ancre près du canal Lachine et ne cesse d’explorer son héritage madelinot, qu’elle découvre et enrichit en même temps. Son dernier ouvrage en date a un titre qui l’attache de manière ludique et créative à son île natale : Madeleinitude et acc’modages – ce goût d’être soi, aux Îles (Éditions de la Francophonie, 2021). C’est une exploration sur 200 pages de la manière de se définir Madelinot, dans un contexte qui évolue, qui dilue les identités, fait éclater les définitions parfois sclérosées pour extraire cette essence volage qui se dérobe à l’instant même qu’elle est dévoilée.
Pour aller partout, une œuvre doit venir de quelque part – voilà une citation qui sied bien à Marie-Laure et sa quête identitaire. L’esprit des îles existe bel et bien, elle l’incarne dans sa démarche et ses écrits, qui sont ses ponts à elle, ses mains tendues aux autres. C’est précisément ce partage qui constitue la grandeur de la littérature selon Marie-Laure : avoir un livre sous le bras, c’est comme tenir la main de l’autre, partager ses secrets et ses rêves, et ne plus jamais être seul, même dans son bout de la plus reculée des îles. Le dernier ouvrage de Marie-Laure Chevrier est disponible à la Librairie de Verdun (4750 Wellington) et à la librairie Livresse, dans la Petite-Bourgogne (2671 Notre-Dame Ouest).