Changement de la garde – L’entrée du privé et du développement immobilier (1)
Texte de Marcel Barthe
Courtoisie de Proment
Un acte de vente du 26 janvier 1956 met fin, après plus de 200 ans, au règne des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame sur L’Île-des-Sœurs. La Quebec Home & Mortgage Corporation (QHMC) déboursera 1 300 000 $ pour mettre la main sur ce territoire exceptionnel. Les actionnaires principaux sont messieurs Judah Leib Gewurz, Joseph Remer et Colin A. Gravenor. Par la suite, la Société d’investissements île des Sœurs, détenue par les familles Remer et Gewurz, succèdent aux différentes entités précédentes (Proment).
Lors de l’achat, M. Gewurz affirme que les propriétés des sœurs ne seront pas rasées et qu’il souhaite la présence continue des membres de la communauté dans l’île.


Les choses évoluent autrement puisque les dernières sœurs résidentes quittent définitivement leur royaume le 27 mai 1957. QHMC occupe alors la Maison des religieuses pour en faire ses bureaux. Un incendie majeur rase tous les bâtiments de la ferme Sainte-Famille en 1973.
Deux événements importants devront survenir avant que l’activité immobilière sur le territoire démarre : l’ouverture du pont Champlain en 1962 et l’entente entre la QHMC et l’entreprise Structures métropolitaines de Chicago. Consciente qu’elle ne peut développer un lieu de cette importance par sa seule capacité financière, les nouveaux propriétaires confient, par bail emphytéotique de 99 ans au leader américain du déploiement immobilier, le soin de doter ce territoire considéré comme exceptionnel dans le contexte de l’époque, d’un projet d’aménagement qui, selon Judah Leib Gewurz, doit « faire de l’île le domaine résidentiel le plus merveilleux de l’Amérique du Nord.[1] »

Les attentes, promesses et déclarations publiques répétées sont élevées. « Nous voulons faire de ce centre d’habitation un district des plus remarquables au Canada.[2] »
Structures métropolitaines a compris le message. Pour démarrer, elle s’allie à des acteurs prestigieux dans les domaines de l’architecture et de l’aménagement du territoire de l’époque : l’architecte Ludwig Mies Van Der Rohe, le dernier directeur de la réputée école d’architecture du Bahaus, en Allemagne, qui définit le courant artistique de la modernité et du style international ; Philippe-David Bobrow et Harold Ship (architecte de la place Alexis Nihon) de Montréal, Stanley Tigerman, de Chicago et l’architecte écologiste Calvin R. Fremling du Minnesota, qui proposera une vision adaptée de la « Cité-jardin » dans l l’aménagement de l’île. Les ingénieurs-conseils affirment : « La beauté naturelle de l’île est due, en grande partie, aux arbres qu’on y trouve. Cette beauté doit être conservée en préservant le plus grand nombre d’arbres possible.[3] »

Ces premiers gestes forgeront la personnalité de ce territoire, son ADN dans le paysage métropolitain montréalais : architecture originale et soignée, canopée et espaces verts imposants dans le respect du concept de la « Cité jardin ». À suivre.
1 – Lacoursière, Jacques, l’Île-des-Sœurs d’hier à aujourd’hui, p.114.
2 – Op. cit. p. 117.
3 – Idem, p. 138
