Par Marek Zielinski
« Pour aller partout, il faut venir de quelque part. » C’est une de mes citations préférées que j’ai déjà utilisées auparavant. Ce « quelque part » n’est pas forcément notre lieu de naissance, ça peut être l’endroit que nous avons choisi, ou qui nous a choisi.
Verdun a été pour moi un endroit rêvé au sens littéral du terme. Il m’est apparu dans des rêves récurrents durant mon enfance, à l’époque où ce nom n’évoquait pour moi que le carnage de triste mémoire de la Première Guerre mondiale. J’avais alors huit ou neuf ans, je ne connaissais rien au monde, mais mon imaginaire a été nourri par les récits de voyages de mon père.
Dans ce rêve, je me voyais adulte, par une belle journée d’été, sur le balcon au-dessus d’une rue animée, bordée de deux côtés par les immeubles de trois étages, de hauteur égale, et munis de balcons du type loggia (un terme que j’ignorais à l’époque). Il ne se passait rien, j’étais un spectateur immobile, mais néanmoins émerveillé par l’aspect calme, apaisant de ce que je voyais. Et puis ce rêve s’en est allé, je l’ai oublié.
Plusieurs années plus tard, bien établi à Verdun, je me promenais sur la Wellington et, à chaque fois, un étrange sentiment de déjà-vu m’accompagnait. Il était présent et bien défini, mais je n’arrivais jamais à mettre le doigt sur l’élément qui le déclenchait. Jusqu’au jour où j’ai eu la chance de visiter un appartement dans un des immeubles de la rue et ce fameux balcon loggia. Voir la Well d’en-haut a été une révélation, un choc ! Le rêve depuis longtemps oublié a ressurgit, accompagné d’un sentiment d’être enfin chez moi, après plusieurs années d’errances. Ce sentiment ne m’a plus quitté depuis. Ça fait du bien de se savoir à sa place, de faire pousser ses racines. Pour paraphraser le grand Sacha Guitry, on ne nait pas Verdunois, on le devient !
Je saisis cette occasion pour parler un peu de l’immigration, mais autrement. Les médias évoquent ce sujet et, à juste titre, comme une épreuve, un déracinement traumatisant et porteur d’espoir en même temps. Mais il y a une autre immigration, qui part d’un désir profond de découverte, de vagabondage, d’envie d’aller voir ailleurs si on y est. Et souvent, on y est ! On s’y retrouve, on s’accomplit, on éclot. J’aime croire que j’appartiens à cette catégorie, que je m’inscris dans la longue histoire de rencontres entre un lieu et un individu, ou une société. Cette mouvance traduit dans une certaine mesure le vieux rêve d’un monde sans frontières, à l’état originel.
Pour de nombreuses personnes, Verdun est ce lieu de rencontre. Il suffit de se promener sur la Well ou sur les berges du fleuve pour entendre les langues souvent exotiques. Différentes dans leurs accents, agencées selon des grammaires spécifiques, avec des intonations surprenantes. Elles expriment pourtant – je fais ce pari -, ce qui est commun à nous tous : l’amour pour nos proches, pour nos amis, les espoirs et les rêves, la joie et la tristesse. Avouez, c’est la plus belle des musiques!
Rubrique « Coup de chapeau aux gens de ma communauté »