Jean-Guy Marceau – Courir dans le froid

Son ami, son best, lui dit tout le temps : « Le bonheur est dans l’action « N’écoutant que son courage, Louis enfile ses vêtements de course, comme une jeune mariée revêt sa robe blanche, avec le même rituel, le même respect qui allume sa ferveur envers l’effort physique, particulièrement la course. Dehors, c’est l’hiver. Peu de neige et beaucoup de froid. Du haut de son appartement de la 1ʳᵉ avenue, depuis la fenêtre du salon, Louis entrevoit le poste de pompier. Juste en arrière, son terrain de jeu, la promenade qui longe le fleuve, un fleuve qui ce matin transpire de froid.

Il est tôt. En ce début de 2025, la nature s’est chargée de répandre une poudre blanche durant la nuit, une farine qui attire les faibles rayons du soleil, on dirait une nappe de velours scintillante. Après s’être enveloppé de vêtements chauds, mais pas trop, Louis chausse de magnifiques espadrilles à la mode, aux semelles orange qui soulignent le logo de Nike. Il est prêt, presque anxieux. Les écouteurs sont bien en place, une « playlist » de circonstance lui assure une ballade sonore qui motive le coureur et stabilise le rythme de sa course. Il descend l’avenue et traverse le boulevard LaSalle. 7 heures du mat. Sa montre intelligente lui confirme que tout va bien. Louis prend la direction ouest vers LaSalle pour environ 15 kilomètres.

Cinq jours par semaine, Louis entreprend ce circuit avec le même élan, la même fougue. Après quelques minutes, il ne sent plus le froid. Il entre dans un état de bien-être, il rencontre toujours les mêmes personnes sur son trajet, un vieux monsieur avec son chien jaune, un cycliste téméraire habillé en joueur de hockey, un autre qui marche très vite et qui chante à tue-tête une chanson d’Harmonium. On dirait que la faune matinale s’est donné rendez-vous dans le froid et accueille ensemble l’année dans leur passion : le plein air. Après le Natatorium, la neige commence à tomber. C’est sur la musique de Simple Plan que Louis met ses lunettes Oakley. La chaussée est dégagée et pas très glissante, à chacune de ses enjambées, ses muscles se contractent et assurent une complète stabilité. Sa respiration est régulière enfin, c’est ce que prétend sa montre.

Il arrive déjà aux alentours de la vague à Guy. C’est à ce moment où Louis accélère jusqu’au poste de police. Son cœur bat très fort, il ralentit sa course méthodiquement. La course, c’est technique, on peut se blesser facilement. Louis le sait. Il ne part jamais sans de nombreux étirements. Il se rend jusqu’au Moulin Fleming, touche toujours le même arbre, comme un rite, une marque amicale, prend une bonne gorgée d’eau et fait demi-tour.

Le retour se fait toujours plus facilement. La neige est de plus en plus dense et le vent sort de sa cachette. Louis retire machinalement ses écouteurs. Les branches craquent et le bruit des rapides amplifie l’intensité du moment. Il reconnaît le vieil homme et son chien jaune. Un dernier sprint devant le quai de la tortue. Après un moment, Louis savoure ses derniers kilomètres et se met en mode contemplatif. Il finit sa course par une marche bienfaitrice jusque chez lui. Auparavant, il entre au dépanneur, achète son journal et une banane.

Il revient chez lui toujours avec la même sensation de béatitude. Assis sur un tabouret, dans la cuisine blanc et jaune, Louis mange sa banane en pensant que oui, le bonheur est dans l’action.