Un commentaire de Marek Zielinski
L’année passée, 38 millions d’Américains ont quitté leur travail. Imaginez la population entière du Canada, les enfants et personnes âgées inclus, qui cesserait de travailler. Un vrai phénomène de société, et je crois qu’il est précurseur, car nous en verrons d’autres. Parmi ce 38 millions, plusieurs ont retrouvé un emploi, mais le fait demeure : les employés font preuve d’une mobilité exceptionnelle.
La pandémie a provoqué un rétrécissement de notre vision, réduisant nos préoccupations à la santé, et plus précisément au fait de ne pas tomber malade, de ne pas « pogner » le virus. Le temps d’arrêt nous pousse forcément à la réflexion et à la prise de décisions… par la suite. Car la vie continue, la machine roule, un peu moins vite, mais elle reprendra le moment venu sa vitesse de croisière. À nous de voir, à chacun individuellement, si on embarque ou si on reste sur le quai.
Parmi ceux qui vont embarquer, plusieurs le feront mais à leurs termes. Pour la première fois depuis très longtemps, le pouvoir semble pencher du côté des employés. C’est une occasion unique à saisir pour modifier le monde du travail. Les employeurs doivent réaliser qu’il s’agit d’un vrai partenariat. Avant, pour un travailleur licencié, plusieurs autres s’alignaient pour prendre sa place. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut des incitatives pour garder un bon employé. Par le salaire d’abord : ils sont en hausse (aux États-Unis, mais le Canada ne doit pas différer beaucoup), puis par les conditions du travail. Les entreprises offrent désormais la flexibilité exceptionnelle ainsi que d’autres avantages.
Pour ceux qui restent sur le quai, leur décision doit être le résultat d’une réflexion, d’une reconsidération de leurs priorités et valeurs. Et si on prenait une pause ? Et si finalement les Lents d’Amérique marquaient un point important dans leur revendication du ralentissement global ? Et si regarder sécher la peinture ou guetter le gazon qui pousse prenait tout un nouveau sens ? La croissance, une valeur sûre de l’économie mondiale, en prend un sacré coup de vieux!
La situation n’est pas aussi rose, bien évidemment. La pandémie laisse dans son sillage toute une panoplie de problèmes. Que deviendra notre vie sociale, sachant que le milieu du travail est un lieu important d’échanges sociaux? Où allons-nous côtoyer les gens parfois diamétralement opposés à ceux que nous sommes. Et avec qui nous devons trouver un moyen de coexister et travailler ? Et les familles ? Résisteront-elles à la séparation, distanciation, atomisation actuelle ? Le bien-être psychique constitue un autre problème, surtout chez les jeunes. La détresse, déjà si présente chez les ados, a fait un bond effarant. Comment concevoir sa vie, actuelle mais surtout future, dans un monde aux contacts limités, masqué et nourri des statistiques alarmantes?
Le monde post-pandémique reste à inventer. Par chacun de nous, et collectivement. C’est peut-être la bonne nouvelle, cet appel à notre créativité et à notre humanité pour concevoir ensemble notre monde.