Texte et photos de Marcel Barthe
Par étapes, de 1695 jusqu’en 1769, les sœurs de la congrégation de Notre-Dame deviennent propriétaires de l’île Saint-Paul, aujourd’hui L’Île-des-Sœurs.
Un don de Jeanne Le Ber, fille du seigneur Jacques, d’une portion reçue de son père, alors qu’elle devient religieuse recluse, s’avère la seule acquisition gratuite. Toutes les autres opérations sont l’objet de transactions financières et de troc. Les religieuses régneront sur ce territoire qui prendra officiellement l’unique toponymie de L’Île-des-Sœurs autour des années 50, alors qu’ironiquement, elles s’apprêtent à la quitter après plus de 200 ans. Plus du double que leurs prédécesseurs du début de la Nouvelle-France.
Après avoir utilisé pendant un certain temps les installations abîmées du seigneur Le Ber, elles érigent un imposant milieu de vie consacré à nourrir les membres de la communauté et leurs protégés de la terre ferme, située juste en face, au domaine Saint-Gabriel de Pointe-Saint-Charles. Sur l’île, des incendies occasionnent la construction de plus d’un manoir pour loger des membres de la communauté et des employés lors de séjours à durées variables. Des granges, étables et autres dépendances complètent les infrastructures agricoles. Le déboisement et la mise en culture, les pâturages, les ruches et les vergers procureront bois, blé, maïs, orge, fruits et légumes, viandes, volailles variées, miel, laine et lin.

Malgré l’ampleur des bâtiments et des activités qui s’y déroulent et le va-et-vient continuel entre les deux rives pour le transport des personnes, des biens nécessaires et des fruits de l’exploitation, l’île conservera un caractère champêtre, calme, et le plus souvent à l’abri du tumulte incessant de la colonie, tant sous les régimes français et britannique, causés par l’urbanité galopante à quelques enjambées.
L’absence de pont contribue à cette sérénité. Toutefois, cela augmente la difficulté des opérations. Bien qu’elles engagent des employés, les sœurs administrent l’ensemble de l’île, mettent la main à la pâte au quotidien et, en plus grand nombre, pendant les corvées saisonnières. Les voir s’adonner à des tâches physiquement difficiles, en toute saison, empêtrées dans leurs habits encombrants et pour le moins inappropriés pour la tâche, démontre courage et abnégation !

Aujourd’hui, tristement, il ne reste que cette modeste, mais combien précieuse croix de chemin cachée près de la sortie de l’île pour nous rappeler le passage de ces bâtisseuses de Verdun !
Le reste a disparu à la suite d’incendies, des actes de vandalisme et sous le pic des démolisseurs.
Un devoir de mémoire demeure pour ces femmes, véritables cheffes d’entreprises.