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Mardi, 10 septembre 2024

Aînés : vous avez dit âgisme ?

 

Comment ne pas réfléchir sur l’âgisme par les temps qui courent ? Cette pandémie a pris un an pour nous mettre les yeux en face des trous. Tous ces aînés abandonnés à leur sort et à leur mort dans les CHSLD taraudent les consciences. Dire « on aurait pu faire mieux », c’est manier l’euphémisme. La dernière période de la vie serait-elle un épouvantail à moineaux ? Denys Desjardins se penche sur le sort des personnes âgées délaissées par le système dans la websérie documentaire L’industrie de la vieillesse, sur ICI tou.tv, en 11 épisodes. Il faut dire et montrer. Même les aînés actifs se font regarder de travers. Un manque de culture et de sens historique crée ces fossés. Les communautés en respect des anciens possédaient des racines profondes. Nos temps suspendus endiguent la sève de transmission. Nous voici prisonniers d’un présent en apesanteur. Avec les effets pervers meurtriers en fin de compte.

La chroniqueuse et écrivaine polémiste Denise Bombardier s’est levée contre une animatrice de Télé-Québec qui lui avait demandé comment on fait pour être pertinente à son âge. Nos sociétés effrayées par la perspective du déclin et de la mort déconsidèrent l’expérience. Tant de références, de précieux enseignements de la vie sont tenus pour des cacahuètes… Folie amnésique, quand tu nous tiens. Autant profiter des atouts de chacun. En temps de crise, créer des liaisons sur la ligne du temps devient essentiel. La fougue de la jeunesse fouette les sociétés, mais les générations du dessus ne s’en laissent guère conter. Tant de mises en perspective des débats contemporains, tant d’œuvres-sommes sont composées du haut de la montagne. On enterre de grands artistes, de grands scientifiques avec les honneurs de la guerre. Si vite oubliés…

Remarquez, la sagesse ne vient pas nécessairement avec l’âge. Tant d’humains demeurent obtus du berceau à la tombe. On en voit se cramponner farouchement à leurs préjugés d’antan. À l’autre bout du spectre, certains jeunes désolent par leur conformisme aux diktats de l’époque. Les gens vieillissent comme ils ont vécu, munis d’antennes ou pas. « Le temps ne fait rien à l’affaire », chantait Brassens. Mais le respect se perd. Toute cette violence déversée à pleins médias sociaux le crie.

Reste que les aînés avisés puisent à des eaux profondes. Ironie du sort, en temps de jeunisme, certains d’entre eux trouvent même des adeptes

 Odile Tremblay
Odile Tremblay

enthousiastes dans la génération de leurs petits-enfants. Fragiles, les ponts, mais pas tous coupés. Ainsi, ces derniers mois, des têtes blanches enflammaient les réseaux sociaux. La fameuse photo de Bernie Sanders mitaines aux mains, masque au visage et air ennuyé à l’intronisation de Joe Biden n’en finissait plus de se voir pastichée sur la Toile. Au Québec, le cri du cœur de la comédienne Louise Latraverse lancé à l’émission de fin d’année En direct de l’univers, « L’amour, crisse ! » est devenu viral, reproduit à pleins t-shirts.

Le nonagénaire cinéaste et mage des temps modernes franco-chilien Alejandro Jodorowsky compte six millions d’abonnés de tous âges en ligne qui l’écoutent religieusement évoquer la thérapie par l’art et la nécessaire prise de conscience collective. La poétesse innue Joséphine Bacon inspire les Québécois par sa sagesse et sa résilience, comme Janette Bertrand par sa générosité et son art de vivre. Aux Golden Globes, dimanche dernier, c’est Jane Fonda qui prononça le discours le plus engagé, le plus porteur et le plus visionnaire de la scène hollywoodienne.

Je lisais cette semaine le recueil de chroniques Un café avec Marie, de Serge Bouchard. Et dans ces textes si bien écrits, pétris de références non seulement à la vie et aux deuils de l’auteur septuagénaire mais à ceux qui l’ont précédé, aux Innus, aux coureurs des bois, aux écrivains, la trame de son existence s’y relie à une humanité plus vaste que son parcours personnel. « De quoi se souvient une poussière d’étoile ? demande l’anthropologue. Elle se souvient des unicellulaires dans l’océan, de l’évolution des formes de la vie, des poissons primitifs, des amphibiens. » Ces chroniques-là, mêlées de réflexions sur la beauté, le bonheur fugace, le miroir du moi qui s’ignore, le doute et la peur, n’auraient pu être composées à un âge plus tendre. Ça prenait les amours disparues, les ennuis de santé, les rencontres avec l’ours, les vieux mots oubliés en remontée de mémoire, la lecture de Montaigne et les trajets infinis avec des camionneurs au long cours. « Or, comment se fait-il que, dans un monde où la mémoire individuelle prend une si grande importance, la mémoire collective, elle, soit en si grande perte de vitesse ? » lance-t-il au vent qui passe. Apprendre à écouter les témoins du passé est aussi prolonger sa propre destinée.

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