Saint-Valentin

On sonne à la porte d’un duplex de la rue Rolland. Vendredi le 14 février. Josée est en train de faire son souper et celui de son fils Alexis. Elle va à la porte. Le livreur d’un fleuriste de Verdun lui présente un énorme bouquet. En revenant vers la cuisine, plusieurs questions lui viennent à l’esprit.

– Mais qui ?

Josée déballe délicatement l’arrangement floral . Un papier glacé rouge et blanc cache un superbe bouquet. Des oiseaux du paradis, quelques roses et une multitude de petites fleurs odorantes enveloppent la cuisine et effacent momentanément une vague odeur de pâté chinois. Une carte. Avec son cœur qui bat jusqu’au bout des lobes d’oreilles, la jeune femme monoparentale ouvre l’enveloppe et lit : À ma Valentine ! Très peu d’indices. Elle dépose l’objet de son questionnement sur la table vitrée du salon.

— La Saint-Valentin, murmure-t-elle, je ne vois personne, je ne connais aucun prétendant. Mon ex n’aurait pas cette délicatesse. De toute façon , il est bien occupé avec ses jumeaux.

Josée est plongée dans ses rêveries, ravie et inquiète à la fois. Elle pile les pommes de terre qui complèteront le plat favori de fiston.

— J’en reviens pas…mais qui ?

Il y a bien un prénom qui remonte à la surface, mais non, c’est impossible songe-t-elle. Alexis, qui termine ses devoirs, sort de sa chambre avec ses incontournables écouteurs. Il ne peut que constater l’énorme bouquet.

— Wow mom! C’est ben cool, sais-tu c’est qui, genre ?

— Je l’ignore, lui lance-t-elle en souriant. Est-ce toi mon petit Valentin ? T’as cassé ton petit cochon….t’es ben fin mon loup !

— Niaise pas, tu sais bien que j’suis cassé ! De toute façon c’est débile, genre complètement fou, style !

A treize ans, en général, tout est débile, sauf les amis de ESMR (école). Il fait demi-tour et s’accroche sur son iPad, comme la misère s’accroche au pauvre monde. Déjà ailleurs, il gonfle une méga gomme balloune « rose-délavé-de-début-d’après-midi ». Sans goût, sa saveur, c’est cool, genre. Josée l’observe d’un œil et sourit en l’imaginant dans quelques années, aux prises avec les jeux de l’amour. Elle est quand même heureuse de cette surprise et accepte les règles indestructibles de Cupidon. Une envie soudaine d’ouvrir une bouteille de vin lui traverse l’esprit. Elle s’exécute, change la nappe à carreaux pour celle du week-end. Elle met son chandelier en étain au milieu de la table, y installe deux chandelles rouges. Sans le réaliser, elle offre au pâté chinois un décor de bœuf Wellington.

Un simple bouquet lui a permis de réinventer son petit vendredi soir. Il a aussi atténué le « C’est débile » de son gars lorsqu’il s’est approché de la table décorée pour la circonstance. Ils ont finalement passé un gentil repas en tête-à-tête, ce qui n’arrive pas trop souvent. Un peu gêné, Alexis fut quand même séduit par tant d’audace de la part de sa mère qui avait un petit cadeau pour lui. Cela ne lui a pas empêché de dire en sortant de table : merci pour le souper, mais c’est quand même débile la Saint-Valentin.