Suzanne Landry et René Huot, toujours complices,
qui discutent de la dernière édition du Guide Fiscal
Texte et photographie de Carole Pelletier
Explore Verdun Île-des-Sœurs rencontre René Huot, sourire aux lèvres, heureux de parler d’une réalisation qui, il y a plus de 50 ans, a jeté la base d’un outil devenu progressivement incontournable pour la communauté des fiscalistes québécois, de l’enseignement à la pratique. Il s’agit d’un imposant volume sur l’impôt sur le revenu accompagné de ses deux recueils d’exercices, qui sont mis à jour tous les ans en fonction des budgets qu’adoptent nos deux paliers de gouvernement – le fédéral et le provincial.
Mais d’abord, un peu d’histoire concernant l’impôt sur le revenu.
La Première Grande Guerre mondiale, celle de 1914-1918, est à l’origine de l’impôt sur le revenu. Le Canada y participe auprès de l’Angleterre. En réponse aux pressions croissantes liées au financement de la guerre, le gouvernement canadien adopte en 1917 la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu qui touche à la fois le revenu des particuliers et des sociétés – une mesure qui se veut temporaire. Un an plus tard, la guerre se termine, mais il faut payer les pensions des soldats, l’intérêt sur la dette, etc. En 1948, cet impôt temporaire n’est plus considéré comme tel. La Loi de l’impôt de guerre est remplacée par la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette dernière fait l’occasion d’une réforme majeure en 1972.
Après ce préambule, la table est mise pour René Huot, un petit garçon issu d’un milieu modeste, qui fait ses études à Côte-Saint-Paul et à Verdun, dans les années ’50, et qui n’a aucune idée de ce qui l’attend.
René Huot et trois jalons importants de la fiscalité :
les lois de l’impôt
sur le revenu de 1917,
de 1971 et de 2024 –
une progression imposante
Explore – René, comment ça s’est passé les études ?
René Huot – Bien. Je suis allé à l’École Saint-Paul. Ensuite, ça a été le Collège classique du Mont-Saint-Louis puis, finalement, l’École des Hautes Études Commerciales (HEC Montréal). Les éléments marquants ? Une dette de reconnaissance et une révélation. L’obtention de bourses d’études m’ont donné accès au Mont-Saint-Louis et aux HEC. Je ne l’ai jamais oublié, ce qui fait que, quand j’ai pu, c’est avec reconnaissance que j’ai créé des Fondations pour aider les étudiants. La révélation est venue de Vély Leroy, économiste reconnu, qui est venu nous enseigner l’économie durant ma dernière année au Mont-Saint-Louis. Ma matière préférée était les mathématiques. Je me dirigeais, comme plusieurs de mes amis, vers l’ingénierie à l’École Polytechnique, mais, grâce à Monsieur Leroy, ma carrière, et celle de certains de mes amis, a pris un nouveau cap : les HEC. Jamais, je ne l’ai regretté.
Une carrière où s’entremêle l’enseignement et la pratique qui passera de la vérification comptable à la fiscalité…
Explore – Donc, vous voilà à la fin des études à HEC. Où allons-nous après ?
René Huot – Une autre tangente… Nous sommes à la fin de ma dernière année aux HEC. J’ai déjà accepté l’offre d’emploi du cabinet Samson Bélair pour faire mon stage en comptabilité nécessaire à l’obtention de mon titre de Comptable Agréé. Le directeur de l’École me convoque dans son bureau. Il m’offre de rester à l’École comme stagiaire d’enseignement, moi qui crains de parler en public. J’hésite, j’en parle avec celle qui deviendra mon épouse, et j’accepte. Le stage en cabinet est remis à un an plus tard. Ça met la table pour le reste de ma vie : une carrière où s’entremêle l’enseignement et la pratique qui passera de la vérification comptable à la fiscalité. Mais, finalement, c’est l’enseignement qui emportera le gros de mon temps, notamment aux HEC et à l’UQAM sans compter, de façon ponctuelle dans d’autres universités.
Explore – Comment le Guide Fiscal est-il venu au monde ?
René Huot – J’ai rapidement constaté dans mon enseignement le manque flagrant de documentation française adéquate. Avec d’autres enseignants, j’ai commencé à rédiger un recueil de notes pour faciliter la compréhension des étudiants, ouvrage qui devait être mis à jour annuellement. En 1975, je me consacre à la rédaction de ce qui deviendra le Guide Fiscal — quelque 500 pages de feuilles mobiles — et les deux recueils de « Problèmes et Solutions ». Comme les éditeurs ne s’intéressent pas particulièrement à ce marché, mon épouse et moi fondons notre propre maison d’édition et publions le tout. Chaque année, c’est la mise-à-jour de ces ouvrages et leur publication. En 2007, donc 32 ans plus tard, je vends mes droits d’auteurs et la liste de nos clients à PUBLICATION CCH avec l’obligation de continuer à effectuer la mise à jour annuelle, ce que je fais jusqu’à la 40ᵉ édition, en 2014. Suzanne Landry, une ancienne collègue, présentement professeur de fiscalité aux HEC Montréal, prend la relève et met à jour l’ouvrage durant les dix années suivantes ; pour rester en contact avec l’évolution de la fiscalité, j’en fais la révision. En 2024, après 10 ans, c’est maintenant Suzanne qui désire repasser le flambeau.
Aujourd’hui, le Guide Fiscal compte 1350 pages et est également disponible en version internet et en version électronique. Les deux recueils d’exercices sont de plus disponibles en version papier.
En 1987, j’ai par ailleurs participé à la traduction anglaise du Guide et signé une entente avec une maison d’édition de Toronto. Après 14 éditions, devant l’ampleur du travail de mise-à-jour des deux versions, j’ai vendu mes droits d’auteur de la version anglaise à celle-ci.
« C’est une vie riche. J’ai l’impression d’avoir fait les bons choix. »
Explore – Et quoi d’autres ?
René Huot – Beaucoup de conférences, de rédaction d’ouvrages et beaucoup d’implication dans des organismes touchant le domaine de la fiscalité et de l’économie. Une implication dans l’immobilier.
J’ai pareillement travaillé à l’international à un projet ACDI-Vietnam et soutenu des étudiants vietnamiens inscrits dans des programmes au Québec. J’ai participé à des projets de coopération internationale au Guatemala, au Pérou, au Paraguay et en Bolivie.
J’ai réalisé mon rêve de rendre ce dont j’avais profité tout jeune en créant des Fondations à l’UQAM et au Collège Mont-Saint-Louis.
Et puis, j’ai rédigé mes mémoires, « Une carrière polyvalente », publiés en 2021.
« J’ai réalisé mon rêve… en créant des Fondations à l’UQAM et au Collège Mont-Saint-Louis… »
Explore – Des regrets ?
René Huot – De ne pas avoir été assez présent pour ma famille. Entre l’enseignement à l’université, les liens d’affaires avec les cabinets et les fiscalistes, les déclarations de revenus, la mise à jour du Guide Fiscal qui prenait tout mon temps d’avril à la mi-juillet, je disparaissais. Mes proches ont été très patients.
Explore – Les plus grandes joies ?
René Huot – Hors les gens qui comptent pour moi, il y a eu le plaisir d’apprendre et de suivre des chemins qui n’étaient pas tous tracés d’avance : des mathématiques à l’économie, de l’enseignement à la fiscalité, d’auteur à éditeur, et j’en passe. C’est une vie riche. J’ai l’impression d’avoir fait les bons choix.
Je n’aurais jamais imaginé que mon Recueil de notes du début des années ’70 évoluerait et deviendrait une référence en matière de fiscalité pendant un demi-siècle. Je tiens à remercier Suzanne Landry sans qui cet exploit n’aurait pas été possible.
Explore – Et qu’est-ce qui est important pour l’avenir ?
René Huot – La famille : mon épouse Louise qui est ma partenaire de vie et d’affaires depuis plus de 50 ans, nos trois enfants et les six adorables petits-enfants qu’ils nous ont donnés. Il y a aussi les amitiés que j’ai glanées au fil des ans, les Fondations, les séjours au soleil. Mais, avant tout, définitivement la famille.
Explore – Félicitations pour ce Guide Fiscal qui fait encore référence après 50 ans et bonne continuation dans le bonheur et la santé, René ! Nous sommes bien contents de vous avoir vu grandir dans la communauté verdunoise et de vous avoir chez nous à L’Île-des-Sœurs.