Une simple promenade…
(Récit 29-10-2021)
C’est étonnant tout ce qu’on peut tenir pour acquis lorsque la santé est au beau fixe. Les heures s’écoulent et le temps manque. Les vacances d’été viennent à peine de se terminer que c’est la ruée pour les cadeaux de Noël. La roue tourne aussi vite que les changements de pneus et les saisons défilent à nous donner des cheveux gris. Nous réussissons à nous plaindre du mauvais temps, du souper à planifier, de l’agenda chargé et du voisin bruyant!
Lorsque la maladie s’installe, l’horloge s’arrête, comme une boussole qui a perdu son nord. Nous aimerions racheter les jours où la conscience de nos richesses n’était pas au rendez-vous et voudrions que la pluie revienne cacher nos larmes. Les rebondissements de la vie sont parfois abrupts et nous ramènent dans nos bottines du moment, comme ce jour de décembre 2014 à l’annonce du diagnostic…
Mon père s’appelait Rémi, il a quitté ce monde en juillet 2021. Il a laissé de magnifiques souvenirs de sa présence. Homme généreux, de peu de mots, patient et travaillant. Aussi surprenant que cela puisse être, c’est dans sa vulnérabilité que m’est apparue sa grandeur d’âme. Outre les méandres de sa mémoire défaillante, il m’a donné l’opportunité de le soigner. Ainsi, aux côtés de ma mère, j’ai pu partager des regards tendres, des fous rires, lui offrir mon toucher, lui prendre la main et le promener.
Nous avions l’habitude de surnommer la chaise de transport son « 4 roues ». Ancien camionneur, il ne se faisait pas prier pour sortir et rouler le long du « boardwalk ». Ces escapades lui redonnaient le sourire. Il aimait voir la vie à l’extérieur. Qui sait ? Il retrouvait peut-être des repères perdus d’un autre temps. Il disait bonjour aux personnes qu’il croisait. Pendant que je le poussais, il pointait du doigt les chiens et les enfants qu’il voyait. N’est-ce pas que la joie du cœur ne tient qu’à peu de choses?
Nous avions l’habitude ma mère, mon père et moi, de visiter les petits coins de la piste cyclable, tout en nous arrêtant déguster une crème glacée à la « Crèmerie Verdun » près de la marina. Ensuite, nous prenions la direction du « Quai 5160 » et terminions à la « Maison-Nivard-de-Saint-Dizier », question de prendre une pause. Que dire des effluves du fleuve et du chant des oiseaux qui transformaient le silence de l’Alzheimer en liberté. Des plaisirs simples me direz-vous, mais combien apaisants lorsqu’on côtoie la dégénérescence au quotidien.
Depuis son départ, mes marches quotidiennes prennent un autre sens. De ce « boardwalk » qui servait historiquement à retenir la crue printanière, il me reste les précieuses images de nos promenades ensembles mon père, ma mère et moi. Lorsque des montées de tristesse m’envahissent, je me console en me disant qu’il n’y a jamais trop d’amour pour inonder aux alentours ! Dans un ailleurs meilleur, mon père fait son bout de chemin, pendant que le mien sillonne la promenade de l’Auditorium au Parc-des-Rapides en lui murmurant mes journées.
Comme quoi une simple promenade peut changer le regard qu’on porte sur la vie…
Josée Lesage