Une entrevue de Luz Garcia et Marek Zielinski
Ana Gloria Blanch respire le théâtre. Depuis son Mexique d’origine, la scène est son habitat naturel. Établie au Québec, dans cette enclave latine serrée dans la glace mais au cœur toujours chaud, Ana Gloria recommence à zéro, portée par sa passion. Pour elle, tous les chemins mènent au théâtre, et son chemin à elle est autant inusité qu’à sa manière : logique. Elle aide les autres. Les autres comme elle, les immigrants, ceux qui doivent surmonter mille et un obstacles pour se sentir ici chez soi.
Casa Cafi, l’organisme qu’elle fonde, offre des services d’accompagnement dans l’apprentissage de la langue, puis dans la recherche d’emploi – deux piliers de l’intégration réussie. Sensible aux besoins des plus vulnérables et faisant preuve de la capacité d’adaptation, Ana Gloria crée un service de livraison de l’aide alimentaire au domicile pour les aînés. En temps de pandémie et de confinement, ce geste peut sauver des vies. Ceux qui peuvent se déplacer trouvent à Casa Cafi « de quoi manger » et un soutien qui leur fait souvent défaut.
Le volet culturel de Casa Cafi, le Théâtre Blanch, nourrit d’autres besoins tout autant essentiels : ceux de la communication, du partage, de la découverte de l’Autre. Chaque mois d’octobre, depuis plusieurs années, le théâtre devient ce lien, ce pont entre nos multiples communautés. Cette année, confinement oblige, le partage se fait de façon virtuelle, mais avec autant de dévouement, de passion et d’engagement qu’avant. Le centre offre toute une panoplie d’activités culturelles, de conférences et de rencontres – pour tous les goûts et tous les âges.
La réussite d’Ana Gloria et de son organisme résultent justement d’une rencontre organique entre un individu à l’énergie et créativité débordantes, et d’un lieu – l’arrondissement de Verdun. La sève est tombée dans une terre fertile, bordée par un fleuve majestueux, le tout accolé à une ville royale, comme son nom l’indique.
Afin de mieux connaître cette femme exceptionnelle, nous sommes allés la rencontrer et lui poser quelques questions.
Q : Depuis quand est-ce que tu habites à Verdun et pourquoi avoir choisi cet arrondissement ?
R : Il y a près de 20 hivers grâce à un enseignant de l’école primaire de Verdun qui m’a suggéré d’y venir pour aider, à travers mon organisme, les immigrants déjà très nombreux.
Q : Qu’est-ce que tu as aimé de Verdun pour y rester depuis ?
R : L’endroit où il est situé, si près du centre ville et si loin de la circulation de celui-ci. De plus, le fait qu’il est si près du fleuve et surtout les citoyens qui sont si aimables et solidaires.
Q : Est-ce que tu sens une différence de travailler et de vivre à Verdun qu’ailleurs ?
R : Oui, j’ai travaillé dans d’autres quartiers et on sent plus de solidarité à Verdun avec les plus vulnérables. Je sens qu’on a plus de support et solidarité dans cet arrondissement pour eux. On s’entraide également entre organismes et nous sommes bienveillants avec notre communauté et très solidaires.
Q : Comme directrice de CASA CAFI, de quoi est-ce que tu es le plus fière ? Et surtout en temps de pandémie ? Peux-tu nous parler de vos points forts pour aider à la communauté dans ce temps d’adaptation ?
R : Ce qui me rend le plus satisfaite et fière de mon travail est d’être capable d’aider les personnes dans leurs besoins matériaux, mais aussi dans leurs besoins de l’âme. Exemple : les aînés qui sont seuls ou les immigrants qui sont loin de leurs pays de naissance et de leurs familles. À travers notre organisme, on les aide à briser leur isolement, leur tristesse. De plus, notre mission principale dans ces temps de pandémie est de leur offrir de la nourriture.
Q : Comment pourrait-on s’impliquer ou t’aider pour améliorer tes services ou pour que tu puisses continuer à offrir tes services à la population de Verdun ?
R : En ayant plus de financement de base pour continuer… Sinon, je vais quitter Casa CAFI en 2021. J’ai déjà fait beaucoup de bénévolat en tant que directrice, mais si nous n’avons pas le salaire pour payer un administrateur, nous fermerons Casa CAFI.
Q : De quoi as-tu le plus de fierté dans ton travail social à Verdun et en général ?
R : De ma persévérance, de ma connaissance face à la réalité des immigrants… Savoir qu’ils s’adaptent au Québec sans penser qu’ils vont perdre leurs racines, leur langue et leur culture. Juste de s’adapter et de s’ouvrir au changement.
Q : Tu as reçu des hommages et des prix de distinction pour le travail que tu accomplis dans ta communauté. Lesquels ?
R : J’ai eu de la reconnaissance plusieurs fois dans le domaine artistique : aux « Awards Canada » en 2017, comme actrice, et au Festival PAURA – Premier Festival à Valencia, en Espagne, la même année, comme actrice dans le film Furieuse.
En 2016, un prix pour mon travail social : Lauréate 2016 – Hommage aux femmes.
En 2015, un prix offert par la délégation Alvaro Obregon du Centre de ARTE Andres Soler, Band Esprit et la maison de la culture San Angel au Mexique, pour mon travail social et culturel comme directrice et actrice.
En 2011 et 2008, pour la reconnaissance de mon implication au théâtre : le Prix Paul-Buissonneau désigné par la Ville de Montréal et le Prix OHTIL
En 1995, le 2e prix du 1er Festival de la chanson Latino-américaine à Montréal, remis par Projecto-Sur. Et finalement, j’ai eu le Prix d’excellence Arts et Culture en 1993, qui m’a été remis par la Ville de Montréal, Congrès Hispano Canadien et des organismes de la communauté Latino-américaine.
Q : Quels sont tes prochains défis comme directrice de Casa CAFI ?
R : D’assurer la poursuite de 30 ans de travail, donnant la possibilité que le prochain dirigeant ait un salaire fixe.
Q : Explorons ton côté artiste : tu es actrice, metteure en scène, chanteuse, poétesse. Dans quel domaine de ton art te sens-tu la plus authentique, en accord avec toi-même ?
R : Au théâtre ! C’est là où je peux pratiquer tout le reste.
Q : Quel prix as-tu apprécié les plus et pourquoi ?
R : Le plus grand prix que j’ai reçu est le sourire des enfants quand on leur donne leurs petits cadeaux de Noël. Ou leurs repas préférés ! Un câlin d’une personne âgée quand nous l’accompagnons à ses rendez-vous… Ou quand on leur sert un dîner, le visage d’une femme quand on l’aide à sortir d’une mauvaise relation malsaine : ce sont mes grandes réussites, mes plus belles récompenses, mes plus grands prix.
Félicitations pour ta vision, ta persévérance comme directrice et comme artiste, et pour ton implication sociale et culturelle dans ta communauté !