Billet de Jean-Guy Marceau
Denise et Germain ont vécu dans la même maison pendant quarante-et-un ans. Dans le centre-ville de Verdun. Une ville qu’on craignait à l’époque. Quarante-et-un ans, c’est plus long que la plupart des contrats de téléphone portable, plus long que certaines carrières politiques et surtout beaucoup plus long que la durée de vie d’un pot de confiture qu’on garde « au cas où ». Il faut déménager et on sent déjà que leur gros sapin va énormément leur manquer.
Après autant d’années à vivre heureux dans leur maison de la rue Rielle, qui a l’air d’un musée intime, ils sont résilients et ma foi, contents de leur décision. Chaque meuble a une histoire à raconter. Le fauteuil Elran bleu bébé a adopté la forme exacte des fesses de monsieur Germain, depuis les années 80. La vaisselle que Denise a gardée « parce que ça peut toujours servir » a servi exactement deux fois. Au mariage de leur fils Stéphane et à son divorce. Les armoires regorgent de souvenirs et aussi de manuels d’appareils électroménagers introuvables sur Internet.
On commence le tri avec un certain rituel. Denise est méthodique, elle sort une boite « À garder », une autre, « À jeter » et une troisième « À donner – goût douteux ». Germain, de nature optimiste, veut tout donner à Renaissance et recommencer à neuf. Ils se chamaillent bien sûr, mais avec élégance. Ils connaissent les arguments de chacun par cœur, depuis quarante-et-un ans.
Depuis quelques semaines, leur chien Théodore (prénom du grand-père paternel de Germain) branle la queue en souhaitant qu’on le laisse jouer avec une grosse boite vide. Mais voilà, ils sont tous pleins ces cartons, pleins de souvenirs, une vie cartonnée à réinventer. L’humour a toujours pris une place importante dans leur vie, c’est léger, ça ne prend pas de place et ça vieillit bien lorsqu’on le range entre deux coussins.
Le jour J est arrivé et on part pour une magnifique résidence à L’Île-des-Soeurs. La vie communautaire a ses propres règles, nous le savons tous. Le bingo est un sport national et la discussion sur le temps qu’il fait peut durer plus longtemps que le bulletin météo. Ils découvrent avec ravissement une fenêtre avec une vue sur un magnifique sapin qui cache à peine l’église Notre-Dame-des-Sept-Douleurs. Un petit balcon qui donne sur un parc charmant leur rappelle leur enfance. Ils sont enchantés de partager un joli jardin avec des voisins sympathiques qui ont autant d’histoires à raconter.
Leur maison n’est plus la même, mais les souvenirs ont pris le meilleur emplacement : celui qui ne prend pas la poussière. Une nouvelle vie ? Mais c’est la même qui continue, le bord de l’eau, la Well et les cônes orange. On ne se sauve pas des incontournables, surtout du bonheur de vivre à deux heureux, même vieux, même un peu fous !
