Un billet de Jean-Guy Marceau
Je me berce près d’une grande fenêtre qui laisse un soleil pâle caresser mon visage. Je ne connais plus mon nom, Robert peut-être ? Je regarde dehors et c’est tout blanc, comme mon esprit confus, blanc comme la neige, comme les cheveux de ma mère. Je ne sais même plus ce que cela signifie le mot blanc.
Bientôt 84 ans. Toute une vie oubliée. Le temps pour moi n’a plus d’importance. Je me berce les yeux ailleurs. Ma boîte à souvenirs est brisée, pleine de trous. Autour de moi, dans une résidence de Verdun, une vie qui bat et tout en dedans de moi, quelque chose qui ne ressemble à rien. C’est quoi rien ? Ni gai ni triste, je respire encore, c’est machinal, je ne suis pas conscient, C’est la chose la plus simple… Respirer ! Mais pour qui, pourquoi ?
J’ai un peu froid. Je gratte le bois usé de ma chaise berçante avec mon pouce. Ça me fait drôle. Un geste, un petit geste innocent qui me rattache au temps qui passe. On vient me voir. Mais qui sont ces étrangers qui me touchent ? Je ne comprends pas. Je ne sais plus, comme une fausse musique, des bruits perdus sortent quelquefois de moi. Depuis des mois, c’est le grand silence. La nuit dans mon cœur. Et les mains de cette femme qui me caressent le visage… jadis si beau qu’il prête maintenant aux regards des autres qui me sont tous étrangers, indifférents. Mais les yeux de cette femme sont apaisants.
De petits flocons fous tombent du ciel. C’est l’hiver. Je berce mon hiver, ma dernière saison. J’ignore que ma fin est proche. Le tic tac de l’horloge du Centre résonne comme un léger cri dans ma tête. Dong, dong, dong ! Trois heures. C’est l’heure de la pilule qui me fera partir pour quelque temps. Et le temps, je n’ai que cela. Enveloppé dans ma couverture de laine, on m’amène à l’étage, comme on roule un panier d’épicerie. Dans le long couloir, des visages, des portes et encore des visages. Tout au bout, une lumière rouge: EXIT. C’est le seul mot que je prononce ROUGE, Rouge c’est aussi la couleur du sang qui coule dans mes veines bien malgré moi. Il me reste encore mes rêves. Sont-ils encore au rendez-vous ? Ou sont-ils un peu comme moi, perdus dans le néant, cherchant l’ultime lumière.