Texte de Marek Zielinski
Recherche de Luz Garcia de Zielinski
Il y a des destinées qui sortent de l’ordinaire. Être né dans un pays plutôt que dans un autre peut lancer un individu sur une trajectoire exceptionnelle ; c’est également vrai pour le moment de cette naissance – il y a des époques si chargées, si turbulentes qu’elles emportent tout sur leur passage. Le destin est une chose, mais l’action individuelle, les choix qu’on fait, les sacrifices qu’on accomplit sont de vraies mesures de la grandeur humaine.
Un patriote sans patrie
La première moitié du vingtième siècle a marqué profondément mon pays natal, la Pologne. La fin de la Première Guerre mondiale permet sa renaissance comme un pays souverain, mais également fragile et aux proies aux divisions internes ; la Deuxième Guerre lui porte un coup de massue, dont elle ne se relèvera que des décennies plus tard, après la chute de l’empire soviétique.
Dans un pays au destin si cruel et changeant, ses valeurs, sa culture, sa philosophie se sont incarnées dans des individus. Si l’occasion fait le voleur, elle crée aussi des héros. Tadeusz Romer est l’un de ce héros, qui par ses actions a pu sauver des milliers de vies. En tant que diplomate au service du ministère des Affaires étrangères de Pologne, il a occupé le poste d’ambassadeur au Portugal, en Italie et au Japon. C’est dans ce pays lointain qu’il a pu obtenir des visas et des certificats d’immigration à plus de deux mille Juifs polonais exilés. Après la guerre, il s’est établi à Montréal où il a vécu jusqu’à sa mort en 1978.
Réduire une vie pleine d’actes d’héroïsme à ces quelques lignes semble être un exercice puéril et injuste, mais ces quelques lignes ont le seul mérite de prolonger la mémoire de ce grand homme, de célébrer son courage, sa détermination et ses sacrifices. Ce patriote ardent a été forcé à s’établir à l’étranger et à fractionner sa famille, car le retour en Pologne lui aurait coûté sa liberté, sinon plus, eu égard à ses activités au sein du gouvernement polonais en exil.
Un devoir de mémoire
Aujourd’hui, sa mémoire reste vive, notamment grâce aux efforts de sa fille, Mme Thérèse Romer, qui a remis au musée de l’Holocauste de Montréal la valise de son père, symbole de sa condition de réfugié, le destin qu’il a partagé avec tant d’autres de ses compatriotes. Mme Romer est depuis plus de 20 ans résidente de Verdun.
Amoureuse de la nature, avec une passion particulière pour les plantes sauvages de Québec, Mme Romer a collaboré durant des années avec des revues spécialisées, comme La terre de chez nous ou encore Fleurs, plantes et jardins, où elle partageait cette fascination pour la flore de notre province. Je vous promets pour bientôt un article entièrement consacré à la découverte des trésors du royaume des fleurs et des plantes, que nous foulons souvent sous nos pieds sans prendre le temps de les apprécier.
Il est pratiquement impossible pour nous tous qui sommes nés après la Deuxième Guerre mondiale d’imaginer l’ampleur et la profondeur des bouleversements qu’elle a pu causer un peu partout dans le monde. Tous les repères moraux se sont effacés, la pire barbarie a pu se manifester. Dans ce contexte, les actions d’individus aussi courageux et intègres comme Tadeusz Romer prennent une signification exceptionnelle : ils ont été les dépositaires de plus hautes valeurs de l’âme humaine.
Nous leur devons la survie de notre civilisation dans ce qu’elle a de plus noble ; nous leur devons d’entretenir leur mémoire et d’honorer leur courage et leur sacrifice.