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Mercredi, 04 décembre 2024

Un petit bonheur de Noël

Un billet de Jean-Guy Marceau

Il n’avait pas cessé de neiger depuis trois jours. Ce qui ne nous empêchait pas de jouer dehors. La petite rivière, derrière chez nous, était entièrement gelée. Un miroir où se reflétaient les bouleaux et les érables couverts de givre. Noël arrivait et toute la maisonnée était affairée. La petite école numéro 2 dormait sous un pied de neige folle, enfarinée et bien heureuse. Un filet de fumée bleue sortait de la cheminée. Le concierge, qu’on appelait Ti-Noir, avait effectué son travail. La Gaspésie entière était déguisée en carte de Noël.

J’étais le sixième d’une famille de sept. L’aînée de mes sœurs jouait à la petite mère avec moi. Cela rassurait maman qui en avait plein les bras en cette période des fêtes. Dès ma naissance, elle s’est appropriée de mon être. J’étais, même à sept ans, son enfant par procuration, sa catin de service. Un besoin de materner qui s’est manifesté toute sa vie durant. J’étais son préféré. Elle me gâtait et j’en profitais. Je l’adorais en silence. Ce 23 décembre, elle m’avait habillé avec tant de pelures que j’éprouvais de la difficulté à marcher. Après dix minutes à l’extérieur, j’avais l’air d’un bonhomme de neige miniature, mal articulé.

À l’aube, deux de mes frères étaient partis en mission. Bien attelés à leurs raquettes, ils allaient aux lièvres ; mon père avait tué une perdrix bien grasse et un restant d’orignal suffisait à ma mère pour nous concocter son cipâte annuel. Dans la maison, mille odeurs planaient. Le prélart de la cuisine brillait et le petit papa Noël de Tino Rossi en était à son trentième tour sur le phono. Sur le poêle à bois, un sucre à la crème prenait forme.

Toujours à l’extérieur, je m’étais isolé volontairement des amis et de ma petite sœur que j’avais toujours sur les talons. J’avais pris le chemin du petit pont de bois qui traversait la rivière. J’adorais cet endroit. C’était toujours comme si j’entrais dans un livre d’histoires. Tout m’était permis. Les rêves les plus fous. De là, je voyais tout, et tout me paraissait si grand. L’école de rang, le magasin général avec son enseigne de Coca-Cola, le petit garage Shell avec sa coquille jaune et rouge et les quelques maisons de bois qui bordaient une mer endormie par un hiver qui s’affirmait. La neige brillait et tombait, tombait toujours. Mon chien m’avait suivi, je lui parlais constamment et étais convaincu qu’il comprenait tout.

Comme un animal sauvage, j’ai toujours aimé me cacher. Ce que je fis. Princesse mon chien, accepta de m’accompagner dans ce projet. Un quart d’heure plus tard, j’avais creusé mon repère et m’installa dans ce que je croyais être ma crèche de Noël. Je voulais connaître la sensation, que le petit Jésus avait éprouvée dans l’étable, avec le bœuf et l’âne qui le réchauffaient. Du théâtre ! Je trouvai à l’instant que Princesse avait une haleine quelconque. Une odeur de laine mouillée. Aussitôt, je pris congé de ma cachette et revins rejoindre les amis qui avaient érigé, près de l’étable, un immense bonhomme de neige. J’eus l’idée d’aller chercher dans la grange des crottes de lapin pour créer les yeux du bonhomme, ce qui fit bien rire le groupe d’enfants aux joues rouges que nous étions.

Le bonheur en ce temps-là n’était que cela. Aimer et se sentir aimer.

Je vous souhaite de bien belles fêtes. Un joyeux Noël et une heureuse année 2023.

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