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Mercredi, 11 décembre 2024

Un ange qui passe

Un billet de Jean-Guy Marceau

J’allais parler d’eux au passé, comme s’ils m’avaient quitté à tout jamais.

Assis dans sa cuisine de son 3 1/2 chauffé-meublé, Henri berce et caresse son petit bouledogue français, Puce. Le regard posé sur sa corde à linge qui fait danser une vieille paire de bas usés et si confortables, comme sa vie sur la 3e, songe-t-il.

Henri est seul depuis des nombreuses années. Une solitude qu’il a d’abord crainte, combattue, puis apprivoisée et finalement acceptée. Il en a fait une douce habitude. Il n’a pas d’enfants et vit seul à Verdun. Vieillir seul, cela lui semblait affreusement triste et alarmant mais, cette vie de célibat qui s’accroche à lui depuis plus de vingt ans, il s’en accommode plutôt bien.

Henri a bien quelques amis dans le quartier, mais ses activités routinières s’apparentent plus à celles de son meilleur ami Puce. Il parle peu. Son regard bleu presque éteint cache une lumière, un espoir peut-être. Qu’espère-t-il encore ? Ses amis le connaissent mal, même Victor et Léopold, deux jumeaux, ses troisièmes voisins qui s’engueulent sans cesse et qui ne parviennent pas à se laisser plus de dix minutes… paradoxe qui amuse et fait sourire Henri. Qui les trouve très divertissants.

Depuis quelques semaines, il se rend quotidiennement dans un coin du parc près de la 1ère. Il s’assoit, ouvre son journal de Montréal et lit, tout en l’attendant. Il sait qu’elle viendra. Elle lui sourira, Marie-Ange lui dira:

  • Bonjour M. Henri, puis-je vous tenir compagnie ?

Henri, comme tous les jours lui répondra :

  • Bien certainement !

Il dépose son journal et un silence d’adolescent s’installe momentanément.

Ils se disent en même temps:

  • Beau temps n’est pas ?

Ils rient de bon cœur et entreprennent une conversation qui coule doucement. Ils parlent de tout et de rien. Très peu du passé. Ils goûtent le moment présent, saluent le printemps qui s’annonce doux et différent. Marie-Ange prétend qu’elle a peur des oiseaux, est-ce vrai ? Lorsque de jeunes hirondelles tournent autour d’eux, la coquine se rapproche de son nouvel ami et tremble… lui aussi, il tremble. Mais pas pour la même raison. Ils sont beaux à voir. Vrais. Hier, samedi, Marie-Ange proposa à Henri une ballade en autobus.

– Venez Henri, un « nowhere » nous fera le plus grand bien.

Comme deux gamins aventuriers, ils se sont faufilés dans la 78 jusqu’au bout de la ligne et sont revenus dans le même véhicule en prenant soin de changer de place pour le retour. Pendant tout le trajet, la jeune veuve de soixante-dix-sept ans, pour la première fois, lui a tenu la main… il en rêve encore.

Henri sait bien que ces rendez-vous informels ont changé sa vie, bousculé ses habitudes et réanimé quelque chose en lui. Il quitte sa cuisine et met sa casquette rouge qu’il vient tout juste d’acheter sur la Well. Il se prépare pour sa rencontre quotidienne.

Aujourd’hui c’est dimanche, il pleut un peu. Ce soir il l’invite au resto. Il arrive au parc et reconnaît son parapluie mauve. Dix heures. Le soleil sort soudainement et lèche tout sur son passage. Un vent doux venant du fleuve s’amuse autour d’eux. Il s’assoit sur son journal et sort un bouquet de petites fleurs qu’il cachait derrière son dos.

En ce dimanche d’avril, en ce si beau matin, Henri croit un peu en Dieu. Il a l’impression très nette que les anges existent puisqu’il est assis à côté de l’un d’eux, à côté du bonheur.

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