Un billet de Jean-Guy Marceau
Il le savait. C’était incontournable. Il allait inévitablement se retrouver face à face avec elle. Comment peut-il en être autrement ? Il n’en parle jamais, il vaut mieux quelques fois taire certaines vérités qui font mal. Assis dans le fauteuil orange Navel au septième étage d’une tour à L’Île-des-Sœurs, Jim la regarde. Comme on regarde un condamné. Silence. Soirée d’hiver, la neige est de retour en ce début de janvier assommant (ennuyeux !). L’éclairage de la lampe dessine des ombres étranges sur les murs. On dirait des fantômes figés dans le temps, visiteurs impromptus qui soulignent le malaise qu’il éprouve envers elle. Dans la cuisine, l’eau bouillante l’invite à une pose de thé vert. Il revient vers elle comme si de rien n’était. Une gorgée, puis une deuxième.
Jim a envie de lui dire tant de choses. Rien ne sort. Il se sent coupable. Il s’approche d’elle. Elle est de glace, près de la Bay Window. D’un œil, il l’examine et réalise combien elle a changé. De mince, elle est devenue ronde, puis carrément grosse. Toujours la même robe brune, cintrée et laide. Elle est affalée devant lui, apathique et froide, sans expression. Depuis plusieurs années, elle partage avec lui plusieurs secrets inavouables.
Au début, il y a de cela plus de quinze ans, il la laissait faire, elle était plus jeune, elle pouvait en prendre. Il a peut-être abusé d’elle ! Il en mettait et en remettait. Jamais un mot, elle en prenait sans se plaindre. Il est parti très souvent avec elle en vacances, toujours sur ses talons, il la tenait toujours par la main, comme une enfant. Une enfant un peu perdue, anxieuse, elle s’accrochait à lui comme une ombre soumise. Demain, Jim part pour le sud. Costa Rica. Elle l’accompagne, il la sent fébrile depuis quelques jours. Elle tente de lui dire quelque chose. Le non verbal, le body language. Un trop plein peut-être ?
Il ne sait plus comment la prendre. Ce soir, il tente un ultime rapprochement. Il lui parle du passé, de leurs formidables vacances en Europe, leur mois de découverte en Asie, de leurs escapades à la campagne, leurs séjours improvisés à travers le Québec, leurs week-ends délicieux. Rien à faire, elle est fermée comme une huître. Son thé refroidit et son envie de partir avec elle aussi. Tout à coup, Jim croit qu’il pourrait l’aider à s’ouvrir. Elle garde tout en dedans. S’il ne fait rien, elle pourrait se ridiculiser aux douanes. Ce ne serait pas la première fois. N’écoutant que son courage, il se penche doucement vers elle. Il touche sa maudite robe brune et attaque sa fermeture éclair, les grands moyens quoi ! Spontanément, il la libère de la moitié des vêtements qu’elle contient. Instantanément, il sent sa bonne vieille valise toute légère, ravi de partir avec son éternel compagnon de voyage.