Un billet de Jean-Guy Marceau
Depuis longtemps, il ne croit plus en rien. Le bruit sourd de ses pas craquent sur les pierres du petit sentier enneigé. 22 h. La lune s’est dénudée et offre à la terre entière la plus petite de ses parties, un lobe tout à fait délicat qui ressemble à un arc d’or suspendu. Le parc frileux sombre dans un coma profond. L’homme marche en cette soirée de janvier, emmitouflé dans sa Canadienne. Le quartier est tranquille et dort déjà profondément. Quelques flocons habillent la nuit.
Il marche et ne pense plus à rien. Il avance lentement dans le silence de L’Île. Derrière lui, Montréal la grande dessine la silhouette de ses buildings et se veut rassurante. Le vent a pris congé pour l’instant et, tout près, le fleuve gronde de ses tourments d’hiver.
Une vidéo, gracieuseté de Christiane Brisset
L’homme se connecte à l’énergie, parce que ce soir, tout est énergie. Il croise un gros chien jaune aux yeux tristes… deux solitudes aux portes de la nuit. Ils se regardent, avares de sentiments. Le chien s’arrête machinalement et laisse passer l’homme. Ce dernier avance quelques pas, puis il se retourne. La bête est déjà disparue, avalée par quelques ombres mystérieuses et gênantes.
Tout près de lui, un chêne sans âge tient le temps. L’homme avance encore et pénètre dans un petit chemin gelé et lumineux. Il marche, comme s’il allait à un rendez-vous clandestin. Au fait, qui est-il ? Ou s’en va-t-il ? Attiré par le chant de l’eau tourmentée à quelques mètres de lui, il approche des berges, comme on approche d’un péché. Le vol d’un oiseau de nuit captive son attention, le sphinx exécute autour de lui une danse funèbre. Un présage, un signe d’ailleurs ? D’un violent coup d’aile, il disparaît à son tour dans le velours de la nuit. À cet instant précis, l’homme se rappelle. Il se souvient de la mission qui l’habite. Il connaît le pourquoi de cette randonnée et sait la trace qu’il laissera. Une signature finale, déterminante.
Au bout de L’Île, aux pieds du courant, une âme en peine. Une femme porte en elle, une tristesse infinie. L’homme s’approche, devinant son désarroi, il tend la main vers la malheureuse qui se jette dans ses bras. Une seconde passe, une éternité. Les mots sont ici superflus, le silence est éloquent. Quelque part au cœur d’une ville quelques fois anonyme, il arrive qu’un ange passe, le temps d’un instant. Sur un banc de parc, une femme assèche ses larmes et caresse le poils de son gros chien jaune qui est venu la rejoindre, au milieu de sa peine, au milieu de sa vie.