Cette femme se qualifie elle-même de « slasheuse », en référence à ses multiples compétences. Une femme de renaissance, comme on l’aurait appelée plus élégamment jadis, qui a commencé par sa passion pour les arts de la scène, un parcours déjà impressionnant. Rencontre avec Marie-Ève Brunet Kitchen.Par Marek Zielinski Recherche de LUZ Garcia de Zielinski
Depuis douze ans, elle déploie ses talents de gestionnaire en milieu social et communautaire, en ciblant tout particulièrement les enfants, les jeunes et les parents. Aujourd’hui, elle occupe le poste de directrice générale de la Fédération québécoise des organismes communautaires Famille (FQOCF). Le confinement a mis à rude épreuve les familles, et la demande d’aide et d’assistance ne cesse d’augmenter et prendre de formes nouvelles. Marie-Ève Brunet-Kitchen se démène – et le mot est juste – pour trouver du financement, pour maintenir et même élargir la gamme de services offerts. La famille est isolée, coupée, aux prises avec du stress et l’incertitude. Les enfants de tous âges en souffrent particulièrement. En attendant la possibilité de se voir de nouveau avec ses proches, il faut garder le contact virtuel, faire preuve d’imagination (inventer les diverses activités communes par visioconférence) et rester optimiste… Verdunoise d’adoption depuis une dizaine d’années, elle a su voir par-dessus les préjugés et déceler du potentiel de l’endroit. Ces dix dernières années ont transformé Verdun. Selon elle, « dans l’imaginaire de plusieurs Québécois et des médias, Verdun était (…) un territoire où cohabitaient, avec difficultés, les enjeux de santé mentale, la pauvreté, la Loi sur la tempérance (inspirée de la prohibition), le quétaine (…) et, bien que cela date de plusieurs décennies, la guerre des motards hantait encore l’esprit de nombreux citoyens. En dix ans, j’ai senti un grand changement s’opérer. Le climat festif et attractif ainsi que la vitalité culturelle de notre principale artère commerciale est certainement un des déclencheurs et la conséquence d’une vision modernisée et structurante de l’arrondissement. Nous sommes plusieurs à avoir contribué à l’émergence d’un « buzz » verdunois (aussi connu sous l’appellation « #VerdunLuv) ». La liste de projets et de réalisations dont elle a participé reflète ses préoccupations et sa philosophie de vie : la culture, la famille, les enfants, la participation civique, l’entraide. La Station, un centre intergénérationnel co-fondé avec M. Claude Trudel, le maire de Verdun de l’époque – son premier bébé, comme elle aime le souligner -, a vu le jour en février 2012 à L’Île-des-Sœurs, qui n’avait alors aucun espace d’activités communautaires pour adolescents et aînés. La seule station de service au Québec conçue par le grand architecte Mies van der Rohe a été adaptée pour devenir aujourd’hui un lieu incontournable de rencontres et d’échanges. Son passage en politique avec une équipe verdunoise qu’elle qualifie elle-même d’hyperactive a laissé de nombreux legs auxquelles elle est fière d’avoir participé : la belle Plage de Verdun, un projet si bien accueilli qu’il fait désormais partie de l’ADN de Verdun ; la rénovation et l’élargissement de l’Auditorium, qui sera de nouveau incontournable sur le circuit de concerts ; la Maison de la culture Quai 5160 ; le lifting de la Well, une artère vibrante qui reflète le dynamisme et la diversité de notre arrondissement. Le joyau de sa création, le projet dont elle se dit la plus fière, reste pourtant invisible à l’œil, mais dont l’importance consiste à permettre à tout un pan de population de se lancer en politique : le congé parental pour les élus municipaux. Là encore, comme elle le souligne, son expérience personnelle a inspiré cette initiative : « Cela peut sembler difficile à croire, mais, il y a moins de cinq ans, les élus municipaux n’avaient pas le droit à un congé parental. Moi-même, comme jeune mère et élue municipale, j’ai dû reprendre mes engagements professionnels alors que mon bébé, Éloïse, n’avait que cinq jours! L’initiative a fait des petits… Aujourd’hui, les élus municipaux ont le droit à un temps d’arrêt de 18 semaines et l’Assemblée nationale a récemment décidé d’aller de l’avant avec une mesure similaire pour les députés provinciaux. » Le vécu personnel a forgé des convictions et un caractère. Son père biologique ayant fait plusieurs tentatives de suicide, Marie-Ève a développé une attitude de chercheuse de solutions. Pour elle, il vaut mieux désamorcer la bombe que d’en retarder la minuterie. La consolation – elle l’avoue elle-même – n’est pas sa tasse de thé ; elle préfère action et mise en place de solutions. C’est un mécanisme de protection qui la rend si efficace dans ses fonctions et qui apporte de bénéfices à ceux qui en ont le plus grand besoin. Une autre rencontre importante a laissé une empreinte profonde sur elle – celle de son père adoptif dont elle a agrégé le nom au sien (Kitchen). « C’est en fait l’histoire d’un homme que j’aime et qui est devenu mon père, mon « daddy ». Lors de mon adolescence, ma mère est tombée amoureuse de Gary Kitchen, un grand homme, capitaine de voiliers aux Bahamas, un Américain devenu « bum » des Îles des Caraïbes. Ce fut le coup de foudre pour ma mère et lui, mais également pour lui et moi. Nos discussions accompagnées d’un dictionnaire anglais-français étaient inspirantes et pleines de débats. Cet homme, c’est celui qui a longtemps guidé mes pas. Il a influencé mon développement, ma vision du monde et… moi-même. Et mon regard sur les inégalités qui m’ont insufflé une grande volonté d’améliorer concrètement le monde. Mon père, Gary, est décédé le 15 septembre 2018. Quelques mois avant, il m’a officiellement demandé de porter son nom. J’ai accepté avec émotions ce grand honneur. » Cet exemple, qu’on peut sans aucun doute qualifier d’inspirant, constitue peut-être la réponse la plus juste à la morosité ambiante, aux relents de cynisme qui plombent la vie à tous les niveaux. Ce désir de faire bouger les choses est inestimable, il va au-delà des idéologies, des courants politiques ou autres. Il est, souhaitons-le, ce dénominateur commun capable de nous unir, de créer un vrai élan pour repartir sur de nouvelles bases. L’avenir post-COVID – car on y arrivera à bout, un jour -, dépendra de nos actions concrètes posées maintenant. NB: La première parution de cet article, survenue en fin de semaine dernière, a malheureusement omis certaines corrections. Nous nous en excusons ! |
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