Par Marek Zielinski
Recherche de Luz Garcia de Zielinski
Depuis quelques mois, la troisième page de la revue Explore Verdun/IDS fait jaser. Elle lance le ton, donne quelques indices et capte notre regard pour ne plus le lâcher. En un mot, elle fait le job, et plus ! Elle détourne le sens des mots, elle intrigue, se faufile un peu, déroute. Après la lecture du numéro, on y revient souvent.
Écriture dans la peau
Yves d’Avignon – un nom comme ça sent déjà le pirate à plein nez – est un vétéran du milieu journalistique. Paré de ses diplômes de l’UQAM et de l’UdM, il fait ses armes au Devoir durant 25 ans, tout en commettant quelques infidélités du côté d’une agence de presse (Presse canadienne, quatre années), une encyclopédie (Grolier), des magazines sportifs (Les Expos – trois années) et de L’actualité. Puis, deux événements mondiaux ont un impact très concret sur le cours de sa vie.
En 2001, la mort de sa mère le perturbe au plus haut point, mais il perd aussi ses contrats de traduction avec la chute des tours de WTC à New York (l’une d’elles abritait les bureaux de son éditeur et The Magical School Bus). Yves fait cette fois face, se recycle : il devient restaurateur. Devant les fourneaux du café Fréjus (qui existe encore – 5810, rue de Verdun), il se rend compte que cuisiner et écrire ont plus en commun qu’on ne le croit : tout est dans le dosage, les proportions, la touche personnelle. La pandémie, l’autre crise mondiale, lui a permis plus tard de renouer avec le journalisme à travers un média virtuel local, Explore Verdun/IDS, dont il assure le poste du rédacteur en chef.
À la recherche de la mémoire perdue
Entretemps, un événement personnel brouille les cartes mais donne aussi toute la mesure de l’homme, de sa force et de sa résilience : en 2013, un ACV le foudroie, affectant tout un pan de sa mémoire immédiate. Après un séjour de 17 jours à l’hôpital, commence une longue convalescence qu’on peut qualifier de miraculeuse. Aujourd’hui, en pleine possession de ses moyens, Yves incarne l’âme d’Explore Verdun/IDS. Il l’a pratiquement porté à bouts de bras durant presque deux ans, il partage désormais cette tâche avec un lieutenant, un bras droit, un moussaillon tout aussi capable que lui – Michel Cusson (qui sera à l’honneur la semaine prochaine).
Il se passe de choses à la page 3!
Imaginez une phrase bien ronde, bien sage, bien tournée qui se laisse porter par une brise douce sur les eaux azurées des Caraïbes. Une phrase où le verbe n’a des yeux que pour son sujet ; où les compléments directs et indirects se suivent à la queue leu-leu, en ordre, tels les enfants d’une garderie en promenade. Image belle, certes, mais… assommante, avouons-le ! Arrive alors, par surprise, un petit trois mâts nerveux, agile, avec une seule idée en tête : mettre de la pagaille dans ce cliché bucolique ! Et vlan ! Le sujet se dérobe ! Et boum ! Le verbe se camoufle ! Patatrak ! La phrase se paraphrase, s’invente un ordre, se donne des allures ! Yves, en vieux loup de mer, un couteau entre les dents, lance l’abordage et, en un saut, se proclame le maître à bord. Sa jambe en bois (allons jusqu’au bout de l’image) marque le rythme contre le ponton tandis que le nouvel ordre s’installe.
Le cœur du lecteur bat un peu plus vite, mais c’est surtout au niveau de nos cellules grises que l’impact se ressent. Elles commencent à s’entrechoquer, se rebiffer (Non mais !… Ça ne se fait pas !… De quel droit ?!), courir dans tous les sens puis… puis arrive le moment où le mystère de la phrase se livre, se dévoile. Épuisées, certes, mais aussi euphoriques, les cellules grises se regroupent, se félicitent du bon travail. Malgré le souffle coupé, elles sont mieux aguerries face à la prochaine troisième page ! Elles en redemandent même, débordant de confiance.
Le cœur du pirate
L’homme a le tempérament du pirate – il conquiert, par son talent, son intelligence. Il a commencé comme flibustier (j’invite les intéressés à taquiner Google à ce sujet) avec les lettres de marque d’un régent (une sorte de – Le Devoir) pour, finalement, opérer en tant que pirate sous sa propre bannière aujourd’hui (ou presque, mais ne coupons pas le cheveu en quatre – gardons l’épée affilée pour les têtes ennemies). Avec un outil – le langage écrit – aussi codé et rigide, Yves a toujours su lui insuffler un peu de sa folie, de sa poésie. Il a cette qualité parmi le plus rares de l’industrie de la parole écrite : une voix propre, reconnaissable. Gardons en tête que la page trois n’est qu’un entrefilet du talent que le véloman déplie sur les pages de son roman homonyme, encore inédit, et que nous souhaitons feuilleter asap, quitte à le faire en mode de l’autoédition !