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Lundi, 02 décembre 2024

Île cherche héros

Une opinion de Sébastien Daoust

Émilie, 8 ans, est prise dans un piège administratif. 

Elle aime faire du vélo, regarder des youtubeurs jouant à Minecraft et se baigner avec sa grand-mère lorsqu’elle la visite aux Verrières. Comme sa grande sœur, maintenant au secondaire, elle aime aller à l’École des Marguerite.

Elle ne sait pas les batailles infernales qui ont déchiré L’Île à une certaine époque pour que cette école voie le jour. Elle ne sait pas comment il a été long et difficile d’obtenir ce nouvel établissement. Elle est juste heureuse d’aller dans « son » école, à grandeur humaine. Et elle regarde, avec de grands yeux, les élèves de 5e et 6e années qui vont au Pavillon.

Le Pavillon est le nom qui a été donné aux deux étages du 14, Place-du-Commerce, transformé en peu de temps de bureaux administratifs à des locaux d’école. J’étais membre du conseil d’établissement de l’école des Marguerite, à l’époque où cette décision a été prise. Nous ne remercierons jamais assez l’équipe école qui a su s’adapter en moins de six mois à cette situation.

La sœur d’Émilie, Sophie, a été de la première cohorte qui a fait ses deux dernières années du primaire à cet endroit. Elle n’a que du positif à en dire, sauf pour le manque d’un réel gymnase. Mais pour le reste, il y avait ce sentiment de fierté qui habitait Sophie de « graduer » en quatrième année pour aller à cette nouvelle école. Et pour la petite Émilie qui admire tant sa sœur, son tour viendra aussi dans moins de 18 mois.

Cette situation était temporaire. Annoncée à deux reprises, une troisième école allait s’ajouter à l’île. Le nouvel établissement allait permettre non seulement d’accueillir des élèves du primaire, mais aussi du secondaire (1er et 2e). Avec cette école, nous pouvions imaginer une piscine intérieure, ainsi que diverses infrastructures sportives manquantes dans l’offre de service de l’arrondissement de Verdun à L’Île-des-Sœurs. On faisait d’une pierre, deux coups.

Mais voilà que dans une lettre laconique, copiée-collée dans quelques autres quartiers de Montréal, le Centre de service scolaire Marguerite-Bourgeois (CSSMB) est venu à la conclusion qu’à la suite de la pandémie – et selon leur méthode de calcul -, il n’y avait plus besoin de la troisième école.

J’ai participé aux deux annonces au sujet de cette école. L’une provenait de notre ancienne députée, Isabelle Melançon, qui a réellement lancé le bal. Une année plus tard, le ministre de l’Éducation de l’époque, M. Roberge, était venu rencontrer les forces vives de L’île (député, maire d’arrondissement, conseillers municipaux, membres du comité d’établissement, etc.) pour expliquer que la troisième école allait voir le jour « avant la fin de son (premier) mandat ». Il avait menacé M. Parenteau, alors maire de l’arrondissement, que toutes entraves contre ce projet seraient escaladées rapidement au niveau politique. M. Parenteau avait mentionné qu’il n’y avait plus de grands terrains « publics » à l’île.

Le dossier a été remis entre les mains de la Société québécoise des infrastructures (SQI) afin de dépolitiser le dossier, et a tourné en rond pendant trois ans. Questionné en chambre par Mme Melançon, le ministre répondait que le dossier se poursuivait au SQI. Questionné à ce sujet, le SQI mentionnait que le dossier était entre les mains du ministère de l’Éducation.

Immédiatement après l’élection donc, le couperet est tombé. Selon la méthode de calcul de la CSSMB, on n’a plus besoin de la troisième école. Pas d’explication réelle n’a été donnée, sauf « l’effet de la pandémie ».

Pour rappel, cette même « méthode de calcul » a été mentionnée lorsque le conseil d’établissement de l’école des Marguerite a voulu comprendre en 2017-2018 pourquoi l’école des Marguerite était maintenant pleine. La réponse de la CCSMB à l’époque : « Notre méthode de calcul n’avait pas pris en considération que les nouveaux et anciens condos contenaient une part grandissante de familles ». On ne pourrait les blâmer. J’ai habité aux Verrières 2 à une certaine époque, et il était intéressant de voir combien de rénovations y avaient lieu pour transformer la fameuse « verrière » de chaque condo en une chambre additionnelle. Et les nouveaux condos qui se sont bâtis un peu partout à L’Île contiennent parfois un ou deux enfants. La nouvelle réalité de la densification urbaine amène justement des parents à considérer cette alternative.

Donc, la CCSMB ne l’avait pas vu venir.

La méthode de calcul a-t-elle changé ?

Probablement pas. Pendant que nous notons tous de plus en plus de bâtiments en construction à l’île, amenée par une volonté administrative de densification sans borne (et je pèse mes mots quand je dis sans borne, aucun règlement sur la densité maximale n’existe sur la Pointe-Nord), la CCSMB note une diminution du nombre d’enfants dans ses chiffres.

Étant incapables de nous baser sur les chiffres de la CCSMB, par simple empirisme, nous pouvons au moins nous consoler que le Pavillon soit encore là.

Et vous auriez tort. Car le propriétaire du 14 Place-du-Commerce a annoncé que le bail viendrait à échéance d’ici deux ans. Aucun renouvellement ne serait en vue. Le Pavillon cessera d’exister quand Émilie aura gradué de la 4e année.

La conclusion est la suivante : il n’y a plus de place à l’École des Marguerite. Il n’y en a plus à l’école de l’Île-des-Sœurs. D’ici deux ans, nos enfants prendront le bus, et iront sur terre ferme. La logique de l’école de quartier est importante, sauf pour l’île.

Qui sera le héros qui prendra ce dossier en main ? À l’heure où la densification à outrance de la Pointe-Nord et Sud ne passe pas dans la population, qui sera capable de catalyser les forces vives de l’île, trop souvent éclectiques, pour éviter un drame que nous voyons venir longtemps à l’avance. L’école n’est qu’un exemple. Nous pouvons penser aux services de santé, le transport en commun, les rues, le manque criant d’infrastructure de loisirs, et j’en passe. Qui a ce souci en tête, en ce moment ?

Sur qui Émilie peut-elle compter ?

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