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Lundi, 20 janvier 2025

Gisela – De Cuba à Verdun, la médecine comme vocation 

Texte Bérengère Ruest

L’appartement de Gisela se trouve à quelques enjambées du parc qui longe le fleuve à l'extrémité ouest de Verdun, là où la ville abandonne son privilège à la nature. Chaque jour, elle y emmène sa fille de trois ans et, ensemble, parfois accompagnées du mari de Gisela, elles découvrent le long film des saisons québécoises : le feu multicolore de l’automne, l’éblouissement de l’hiver, la vie bourgeonnante du printemps, les chaleurs sauvages de l’été. 

Arrivée à Montréal en 2022 avec son époux et sa fille, Gisela est originaire de Holguin, à Cuba, où elle a passé la plus grande partie de sa vie. Très tôt, Gisela a su deux choses : elle voulait devenir médecin et elle devait quitter Cuba.

« Enfant, je voulais devenir biochimiste ou immunologue. J’inventais des médicaments avec des plantes. Mon père travaillait dans le milieu médical, il me ramenait une seringue de temps en temps. On n’avait presque pas de jouets mais on se débrouillait. Quand tu es enfant, peu importe si parfois tu manques de nourriture ou si tes souliers sont brisés. Ce que j’aimais c’était jouer avec ma sœur et voir mes cousins les fins de semaine. »

Malgré son insouciance et une enfance heureuse, Gisela se rend rapidement compte que les jeunes cubains quittent le pays. Les autres, ceux qui restent, sont ceux qui n’ont pas pu partir, trop âgés ou trop faibles. Une tante qui a émigré à Toronto lui propose de venir la rejoindre sitôt terminées ses études secondaires. Mais l’adolescente d’alors a d’autres projets en tête et surtout la volonté de gagner sa propre vie et de ne devenir un fardeau pour personne. « Je leur ai dit que j’allais faire mes études de médecine ici, à Cuba, et qu’ensuite j’irais travailler au Venezuela pour gagner de l’argent. Je voulais économiser pour pouvoir quitter le pays et ensuite venir en aide à mes parents. Il y a un accord, ou plutôt un échange commercial, entre les deux pays. Le Venezuela verse plusieurs milliers de dollars au gouvernement cubain pour chaque médecin envoyé. Et le médecin dans tout ça ? Il touche deux cent dollars par mois, mais pas directement. Le gouvernement cubain dépose l’argent sur un compte gelé que tu ne peux récupérer qu’une fois ta mission terminée, et de retour au pays. Si tu quittes la mission, tu n’es plus autorisé à rentrer à Cuba. Pour les médecins, c’est une forme d’esclavage. On n’a pas le droit d’entrer en contact avec des Vénézuéliens, ni de développer des relations amicales ou amoureuses. Le soir, on reste dans un quartier sécurisé dont on ne sort pas. J’habitais à moins de trente minutes de Caracas, mais je n’y suis jamais allée. »

À la fin de sa mission au Vénézuela, Gisela retourne à Cuba où elle travaille pendant quelques mois. Le salaire est misérable – vingt dollars par mois – et elle fait une demande de visa touristique pour le Canada, qui lui est refusée. Elle part finalement pour l’Équateur où, après des démarches administratives et quelques examens, elle peut exercer comme médecin généraliste. Comme nombre de Cubains vivant à l’étranger, elle peut ainsi subvenir aux besoins de ses parents restés au pays en ramenant des devises, mais aussi des médicaments.

« La situation cubaine est très triste. Et chaque jour elle empire. Ça fait des mois qu’on n’a pas vu un antibiotique dans l’île. Il n’y a rien sur les tablettes des pharmacies. Dans les hôpitaux et les cliniques, il y a parfois un seul oxymètre pour l’ensemble du personnel soignant. Le plus souvent, il n’y en a aucun. Alors comment fait-on avec les gens qui ont des maladies graves, des cancers ? On fait de la magie. »

Lors de la pandémie, Gisela décide de monter un projet avec quelques amis médecins depuis l’Équateur afin d’apporter du matériel médical à Cuba, notamment des oxymètres et des tensiomètres. L’idée est de choisir des équipements facilement transportables dans une valise, afin de pouvoir les apporter directement à destination, soit entre les mains du personnel médical en première ligne face au virus. Pour ne pas attirer l’attention des autorités et risquer de perdre les précieux équipements, Gisela et ses amis ne parlent jamais de politique dans leurs communications. « Notre objectif premier c’était d’aider les gens qui en avaient besoin. »

Gisela a finalement obtenu un statut de résidente temporaire au Canada, ce pays qui très tôt l’a appelée à lui et qu’elle a aimé avant même de le connaître. Avec sa famille, elle espère devenir résidente permanente dans quelques années. Elle étudie le français chaque jour, a trouvé un travail afin de pratiquer la langue et de la maîtriser suffisamment pour pouvoir, un jour, passer les examens nécessaires et obtenir un diplôme médical qui lui permetta d’exercer son métier ici, au Québec. Elle sait que ce sera très, très difficile. En attendant, elle admire le bouleversement des saisons en marchant le long des berges du Saint-Laurent, d’où elle observe également, sur la piste de danse, les amateurs de salsa portés par le rythme de la musique cubaine.

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