En 1982, une crise du logement sans précédent fait rage au Canada et au Québec avec des taux d’intérêt hypothécaires qui atteignent 21,46 % au début de l’automne 1981. Les bonnes décisions d’hier devraient nous aider à trouver des solutions aujourd’hui.
Une analyse de Pierre Lussier
C’est en réunissant tous les intervenants du monde de l’habitation, incluant les travailleurs de la construction, les entrepreneurs, les promoteurs immobiliers, les institutions financières et les représentants municipaux lors d’un sommet économique en avril 1982, que le gouvernement Lévesque avait mis de l’avant le projet Corvée-Habitation proposé par Louis Laberge, président de la FTQ. Porté par le ministre Guy Tardif, alors titulaire du ministère de l’Habitation et de la Protection du consommateur, la gestion du programme a été confiée à la Société d’Habitation du Québec.
En trois ans, le programme Corvée-Habitation a permis la mise en chantier d’environ 56 000 logements au Québec (1982-83 et 84). Le principe est simple. Corvée-Habitation gère un fonds provenant des contributions des partenaires du monde de l’habitation. Dès le départ, le fonds est destiné à garantir à l’acheteur d’un logement neuf, un taux d’intérêt hypothécaire avantageux (taux d’intérêts préférentiels de 13,5 % à 11,5 % puis à 9,5 %) pour une durée de trois ans. À cela s’est ajouté au cours des phases subséquentes du programme, l’octroi de subventions pouvant aller jusqu’à 3000 $ par transaction. Notez qu’on couvrait les hypothèques de 60 000 $ et moins, conformément au coût de la vie durant les années 1980-1985.
Rappelons que Corvée-Habitation est un programme d’aide aux acheteurs d’un logement neuf et non un programme de construction d’immeubles de logements sociaux ou abordables. De nos jours, les taux d’intérêt sont moins élevés, mais la pénurie de logements est évidente, d’où l’importance de stimuler la construction résidentielle. Les jeunes familles de classe moyenne n’ont même plus les moyens d’acheter une maison en raison de la flambée des prix dans l’immobilier. Un programme dans le style de Corvée-Habitation peut s’adapter aux réalités contemporaines et soutenir des projets de coopératives et d’OBNL.
Peu d’enthousiasme pour les programmes en 2023
En fait, aucun programme en 2023 n’a obtenu autant de succès que Corvée-Habitation jusqu’ici. L’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) confirme d’ailleurs notre appréciation: « Les mesures mises en place en 2023 par Ottawa et Québec pour contrer la crise du logement sont insuffisantes et c’est notamment dû à un manque de planification », affirme l’APCHQ.
Les différents paliers de gouvernement se précipitent pour créer des programmes en période de crise, agissant souvent en silo avec des mesures qui manquent de coordination entre elles.
Concertation et consensus au départ
La concertation était au rendez-vous à cette époque où le gouvernement du Québec misait sur l’efficacité des Sommets pour rapprocher les décideurs dans différents secteurs d’activités, notamment l’éducation, l’agriculture et l’habitation.
Organisme à but non lucratif, Corvée-Habitation est né d’un de ces sommets et de l’adoption d’une loi qui a suivi en juin 1982. Dès le début, le programme a suscité l’adhésion enthousiaste du public, qu’on pense notamment à l’immense chantier du Domaine Saint-Sulpice, dans le voisinage du Centre Claude-Robillard.
Et pour les plus incrédules, notez ceci : le programme a eu un impact nettement positif sur les mises en chantier en 1983 au Québec (+ 72 % par rapport à 1982 contre + 11 % dans le reste du Canada). N’en déplaise à Pierre Desrochers, cet ex-directeur de la recherche de l’Institut économique de Montréal qui affirmait en 1999 : « dans leur acharnement à défendre le dernier bastion socialiste d’Amérique, certains ténors péquistes invoquent immanquablement Corvée-Habitation, un ensemble de mesures destinées à relancer la construction domiciliaire québécoise au début des années 1980 ».
Aveuglé par ses convictions idéologiques conservatrices, hostile à toute interventionnisme de l’État, Pierre Desrochers passe complètement à côté des qualités fondamentales de l’exercice, soit la concertation et le consensus. Au-delà des résultats, c’est le sens de cette démarche qui a mobilisé l’ensemble des intervenants du secteur de l’habitation qui est intéressante : ce consensus sur l’urgence d’agir malgré les divergences d’intérêts, notamment entre les travailleurs de la construction syndiqués et les promoteurs immobiliers.
Dans une prochaine édition, nous aborderons d’autres formules qui ont permis de traverser cette crise du logement (1978-1985) comme le programme Logipop du gouvernement, et l’Opération 20 000 logements parrainée par le président du Comité exécutif de la Ville à cette époque, Yvon Lamarre.