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Vendredi, 13 décembre 2024

Bulle de Verdun

Un billet de Jean-Guy Marceau

C’est l’histoire un peu triste d’un poisson rouge. Mon histoire en fait. J’habite un bocal assez grand et souvent très propre. Ce bol est placé au beau milieu de la table de cuisine. Ma maîtresse l’a volontairement installé en plein milieu du trafic.

Ça va mettre de la vie ! Lance-t-elle à sa famille un soir d’été fumant, où rien n’est ouvert, les portes et les fenêtres sont fermées à cause des feux de forêt. J’ai une lointaine cousine truite qui vit dans un lac en Abitibi qui ne trouve pas cela drôle.

Fraîchement installé au centre névralgique de la maisonnée, rue Leclair, je vois tout. Je m’appelle BULLE, l’œil de Dieu. Je ne comprends pas pourquoi Mme Nathalie tenait tant à avoir une autre bête dans la maison., elle n’y est jamais. L’esthéticienne, le magasinage, le boulot, l’amant, le mari et ses flots… de quoi l’occuper 24 heures sur 24. Enfin !

Je ne comprendrai jamais les humains !

Je dis bien une autre bête, car je partage la maison avec trois jeunes enfants et un horrible chat qu’on appelle Pistache. Misère ! Lorsque la famille est réunie autour de mon HLM, le matin et le soir, c’est l’enfer. Ça brasse dans la cabane. Personne ne veut me déplacer. Ils se sont tous ennuyés, jouent avec mon pot, me parlent fort et pire, quelques fois m’ignorent. Quel paradoxe, je suis à la fois le centre de la conversation et souvent, aussi négligé qu’une vulgaire plante en plastique ! Roxane, la plus jeune, ose se mettre le doigt dégoulinant de Nutella dans ma propriété… ça m’énerve ! Aucune conscience sociale, petite polluante, elle a pourtant quatre ans. Steve m’en fait voir de toutes les couleurs, un jour, voulant augmenter son argent de poche, propose à sa mère de nettoyer mon condo. Il m’a laissé poireauter 30 minutes dans un verre d’eau douteux qui goûtait le jus d’orange… quel idiot ! La plus gentille c’est l’aînée, Marie-Anne. Elle a tendance à me prendre pour une perruche, mais c’est pas grave. Quelle famille !

Monsieur et Madame de Verdun sont indifférents à mes charmes. Pourtant, je joue de la queue tant que je peux, je fais des vrilles, des tourniquets. Rien ne les touche.

Envers moi, ils sont de marbre. Ils discutent souvent en ma présence, à table, particulièrement lorsque les enfants sont occupés ailleurs. Même si je fais semblant de ne rien comprendre, je sais tout. Je sais qu’ils ne font presque plus l’amour : IL se plaint encore et encore ; ELLE prétend que son travail l’épuise. Moi je sais que c’est son Pedro à son bureau qui l’épuise… enfin. Je garde ça dans l’eau. Je suis souvent entre les deux : lui devant sa tablette et elle devant son miroir grossissant qui me fait des yeux de hibou, quel couple !

Deux lignes sur Pistache. Lorsque je me retrouve enfin libéré de mes maîtres, j’apprécie le silence quoique j’appréhende les heures qui suivent. C’est le moment où le paquet de poils jaunes commence son harcèlement. Vous devinez mon anxiété, j’en suis certain. Systématiquement, il bondit sur la table d’érable et commence à me chercher. Je fais le mort, je bouge à peine, je transpire, mais ça ne paraît pas, je sens mon cœur battre jusqu’au bout de ma queue. Il vient ronronner autour de mon abri pendant des heures, il pue de la gueule,

colle son vilain nez sur les murs extérieurs de ma résidence transparente et m’intimide totalement. Je reste tout au fond, la journée durant, bien en sécurité, loin de ce monstre velu et crapuleux. La patte agile du gros bêta frôle mon toit, je fais comme si de rien n’était, immuable, tel un requin qui dort au fond de la mer. Heureusement, il me reste la nuit pour récupérer, la maisonnée dort et l’affreux matou est dehors à la recherche d’une centième chatte en chaleur. Alors, je peux rêver… les yeux grands ouverts.

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