Texte Bérengère Ruet
Photographie Michel Cusson
Aussi loin qu’il s’en souvienne, il y a toujours eu de la musique dans la vie d’Abdelhak Benmedjebari, que tout le monde appelle Abdel. « Mon arrière-grand-père était un grand maître de la musique gnaoua. Mon père, qui porte le même nom que lui, Maalem Mejbar, est aussi un musicien très connu en Algérie. Moi j’ai commencé quand j’avais six ou sept ans. J’ai longtemps été le plus jeune joueur de guembri de toute l’Algérie! »
Originaire de la région de Béchar dans le sud-ouest de l’Algérie, région qui a vu naître l’écrivain Yasmina Khadra, ce résident de Verdun est l’héritier de cette tradition musicale qui remonte à plusieurs générations, bercé aux sonorités et aux rythmes de la musique gnaoua, une musique jouée à travers tout le Maghreb et qui puise ses origines chez les esclaves subsahariens.
Abdel a donc à peine huit ans quand commence sa carrière de musicien. Il accompagne son père dans ses concerts, chante et fait des percussions.
Vers 13 ans, il joue déjà de plusieurs instruments et fait des arrangements et de la composition. Il tourne aussi de plus en plus avec le groupe de ses oncles basé à Paris et de réputation internationale, Gâada Diwan Bechar. Malgré son succès, le jeune Abdel garde les pieds sur terre, et à l’école : son parcours irréprochable lui permet de négocier quelques absences. Ses parents, tous les deux dans l’enseignement, valorisent l’éducation par-dessus tout.
À 18 ans, Abdel part pour la capitale comme étudiant et commence à développer son propre projet musical. Il choisit son instrument de prédilection, la basse, et un nom de scène. Abdel devient Grooz, un mélange de groove et de jazz. « La musique du sud, c’est une musique qui groove vraiment. Moi je voulais aussi apporter le jazz, et un peu tous les styles de musique que je rencontrais. C’est ça qui ressort dans mes albums. » C’est le début de la carrière solo, le début d’une tapisserie sonore tissée à la fois aux fils des rencontres musicales, mais également imprégnée de la culture familiale, la musique gnaoua de sa région. Grooz, c’est aussi le nom d’une montagne à la frontière marocaine qu’Abdel voyait depuis chez lui. Un mélange de tradition et de modernité qui est sa signature aujourd’hui encore.
Puis en 2016 c’est le grand départ. Abdel quitte la terre natale pour s’installer à Montréal.
« Je ne connaissais personne ici, alors naturellement je me suis tourné vers ma communauté. J’ai trouvé des gnaouas du Maroc qui m’ont accueilli à bras ouverts. Une semaine après mon arrivée, je jouais dans un bar de la rue Saint-Denis. Trois jours plus tard, des musiciens m’appelaient. Moins d’un an après mon arrivée, j’avais monté mon band et on donnait nos premiers concerts dans un festival. Début 2019, j’ai sorti mon premier album, East-West. »
Ce succès fulgurant
n’est pas dû au hasard.
Abdel n’est pas seulement un musicien talentueux qui porte sur la scène montréalaise les sonorités originales de sa région natale, c’est aussi un gestionnaire autonome et méticuleux capable d’offrir de bonnes conditions de travail aux musiciens qu’il sollicite pour ses concerts. Professionnel jusqu’à la garde. « Au début, je travaillais dans un magasin pour payer mes factures et pendant mon temps libre je faisais de la musique, ma musique. Quand c’est ton gagne-pain, il faut faire des compromis, ramasser tous les concerts que tu peux. Pour moi c’est pas ça. Je fais les choses dans les règles de l’art, ou pas du tout. »
Peut-être est-ce cette rigueur, cette fidélité à sa vision qui a contribué au succès d’Abdel. Les musiciens qui l’accompagnent sont triés sur le volet et originaires de toutes les régions du monde. Il a notamment travaillé, au Canada, avec Djely Tapa, Nicolas Pellerin, ILAM, Zale Seck, Salamate Gnawa, Melissa Laveaux ou encore Meryem Saci. Petit à petit, la tapisserie de Grooz tire sur des fils musicaux venus d’Afrique, d’Amérique latine, d’Asie…
Aujourd’hui, Abdel vit de son talent. Bassiste et directeur musical avec le cirque Kalabanté Productions depuis 2022, il est également chargé de production du Festival du monde arabe et du Festival Orientalys. Et quand il n’est pas en tournée à l’autre bout du monde, il travaille sur ses projets personnels. Cet été, il se produira un peu partout au Québec et au Canada pour faire connaître son nouvel album, Zarbia, qui accorde une place de choix à la musique sénégalaise, chère à son cœur. Et si ses visites au pays sont assez rares, il n’en continue pas moins de nouer des liens avec sa région d’origine, par exemple en aidant des musiciens gnaouas à se produire au Québec. Sept ans après son arrivée, c’est au tour d’Abdel de tendre la main à un confrère. Et de continuer à tisser cette tapisserie de sons qui s’étend de Verdun à Bechar.
Vous pouvez écouter la musique de Grooz sur différentes plateformes et vous procurer ses albums sur bandcamp. Consultez grooz.ca pour connaître les prochains concerts.